Un des rapports du Conseil National des Droits de la Femme établi
au Brésil dans la capitale Brasilia, se terminait sur ces
quelques mots : "Il est certain que le Brésil, par la
mise en place d'une politique cohérente de combat contre
la discrimination des femmes, est en train de perfectionner sa démocratie
en corrigeant la grave distorsion créée par l'invisibilité
des femmes, entrant définitivement dans la modernité."...
Invisibles les Brésiliennes ? Oui, effectivement,
invisibles devant certains droits de la personne humaine, certains
droits civils, invisibles parce qu'elles ont été privées
de leur voix, de leurs cris de souffrance, méprisées
dans leur véritable identité durant des siècles
sous le couvert de valeurs féminines discriminatoires. Invisibles
aussi parce qu'il y a cinq siècles, les premiers européens
ont découvert des "indigènes" ravissantes
dont ils ont su "se satisfaire" discrètement et
dont la culture, alors détournée, s'est répandue
à travers le monde. Le mythe de la femme brésilienne,
fantasme silencieux et docile, torride et violent parfois, entre
plumes, fêtes et plaisirs sexuels, a fait le tour du monde,
vantée par des brochures touristiques aux images sans équivoque.
Invisibles parce que l'on a réussi à créer
un stéréotype de la femme brésilienne sur le
plan national comme sur le plan international. Et c'est bien de
cette tradition-là dont le Brésil essaie de se séparer
au fur et à mesure que ses 26 états fédéraux
tentent de se diriger vers une véritable démocratie
où le rôle civil et l'image de la femme seraient totalement
réhabilités et valorisés.
Pour l'heure, nous en sommes encore à fouler
un chemin bordé de bonnes intentions mais parsemé
d'embûches. Depuis les années quatre-vingt, le Brésil
a ratifié un nombre non négligeable de conventions
et de traités relatifs aux droits humains et plus particulièrement
aux droits des femmes. Il a lancé, à intervalles réguliers,
des programmes de prévention et d'éducation pour combattre
la violence domestique et sexuelle. Il a tenu des plates-formes
stratégiques pour promouvoir l'égalité entre
hommes et femmes sur le plan social et économique.
Mais pour comprendre et essayer d'apprécier
avec justesse la démarche politique du Brésil, il
suffit de se pencher sur la dernière réforme du code
civil qui a eu lieu en août 2001, après plus de 26
ans de débat. En effet, le congrès brésilien
vient d'approuver un nouveau code civil qui élimine les archaïsmes
du vieux code datant de 1916 en reconnaissant, notamment, aux femmes
les mêmes droits qu'aux hommes. Des points entiers, délibérément
discriminatoires à l'égard des femmes, ont été
supprimés. Par exemple, un homme ne peut plus annuler son
mariage s'il constate que sa "fraîche" épouse
n'est plus vierge ! De même, "le pouvoir souverain du
père dans les décisions de famille" a été
remplacé par "le pouvoir de la famille" permettant
ainsi à la femme d'exprimer son avis. Désormais, un
père n'a plus seul le pouvoir de déshériter
sa fille s'il l'estime malhonnête. En outre, des flexibilités
pour l'homme et pour la femme ont équilibré les lois
régissant le mariage. L'homme a désormais le droit
de prendre le nom de sa femme en l'épousant et peut, en cas
de séparation, avoir la garde des enfants, ce qui lui était
majoritairement refusé auparavant. Ainsi, le nouveau code
tente d'instaurer, de manière législative, l'équilibre
entre hommes et femmes. Le ministre brésilien de la justice,
José Gregori s'est empressé de souligner le grand
pas constitutionnel que cette démarche représentait,
reconnaissant aussi que l'ancien code civil était "une
loi aussi robuste qu'une cathédrale", impossible à
modifier facilement. Cependant, certains juristes ne cachent pas
leur scepticisme en qualifiant ce nouveau code de "né
déjà vieux" argumentant sur le fait que compte
tenu de la lenteur du processus législatif, il sera toujours
"hors de la réalité des préoccupations".
Pour calmer la polémique, un autre avocat a réconcilié
les esprits en déclarant que "le nouveau code n'apporte
pas de grandes nouveautés mais modifie des lois extravagantes".
Mais cela ne suffit pas bien entendu, car les lois
extravagantes, mêmes si elles ne figurent plus dans le code
du parfait comportement discriminatoire à l'égard
des femmes, sont toujours en vigueur dans la rue et dans l'existence
des Brésiliennes. La violence domestique et sexuelle frappe
toujours un nombre considérable de filles et de femmes au
foyer : la maison est le lieu où se déroulent les
pires exactions qui peuvent aller jusqu'au crime. Les infrastructures
restent insuffisamment efficaces pour porter secours aux victimes
d'abus et d'agressions familiales. Les refuges sont parfois mal
équipés et mal organisés. La justice reste
encore clémente pour des hommes qui arrivent à justifier
un acte répressif envers leur épouse, en cas d'infidélité
par exemple. Ainsi, à l'instar des pays comme le Pakistan
ou la Jordanie, connus pour leur tradition hautement discriminatoire
à l'égard des femmes, on arrive à recenser
au Brésil quelques crimes d'honneur. L'image de la femme
brésilienne qui attise la ferveur des hommes fait d'elle
la seule et unique fautive aux yeux de la coutume séculaire
et trop souvent aussi, de la justice populaire et instituée.
Une femme parvient donc à être responsable du viol
qu'elle subit.
Les ONG, qui travaillent en collaboration avec le
Conseil National des Droits des Femmes, tentent de faire disparaître
graduellement les attributs représentatifs de la sexualité
relatifs à l'image de la femme brésilienne. La tâche
n'est pas simple, d'autant que le Brésil offre un marché
de l'exploitation sexuelle en pleine expansion à son pays
et au monde entier par l'intermédiaire de trafics internationaux.
Ainsi, la relation étroite qui existe entre l'exploitation
économique et sexuelle verrouille souvent les issues législatives
et judiciaires qui pourraient être initiées à
ce sujet en matière de protection de la liberté et
de l'intégrité des filles, parfois à peine
âgées de 12 ans.
Mais l'exploitation économique ne s'arrête
pas là. Le traitement des salaires dans les entreprises reste
défavorable pour les femmes. Si elles sont de race noire,
la disparité est encore plus dramatique, leur imposant le
tiers du revenu mensuel d'un homme pour une qualification et un
poste identique. Compte tenu du fait qu'aujourd'hui, une famille
brésilienne sur quatre dépend des seuls revenus de
la mère, ces foyers monoparentaux féminins se trouvent
parmi les plus pauvres et les plus vulnérables du Brésil
quant à l'exploitation parallèle dont la mère
et les filles peuvent faire l'objet. Le travail de réhabilitation
de la femme au Brésil est colossal, empreint de la culture
archaïque patriarcale de plusieurs siècles d'exploitation.
Le gouvernement s'efforce de trouver des solutions aux droits des
femmes pendant que des dizaines de personnes meurent chaque jour,
chaque mois, sous les balles et la torture des "escadrons de
la mort" qui sillonnent les rues pour "nettoyer"
le pays des opposants au régime, des pauvres "trop voyants",
de la jeunesse en révolte contre la pauvreté et un
pouvoir qui ne parvient pas à leur offrir un quelconque avenir.
Des camps de torture dans l'enceinte des postes de police viennent
ajouter leur lot de souffrance et de crimes avec l'aval "post
mortem" des autorités dans un pays où la police,
militarisée, échappe souvent, volontairement ou non,
au contrôle de la république et de sa justice. Ne nous
y trompons pas, le Brésil n'est pas apte, à l'heure
actuelle, de brandir l'image, même naissante, d'une démocratie
moderne. Celle-ci a la même odeur que ces démocraties
dictatoriales issues de certains pays d'Afrique ou d'Asie : ceux
qui se battent pour le respect des droits humains et de leurs droits
civiques élémentaires sont assassinés et leurs
bourreaux disculpés des crimes et des massacres dont ils
sont responsables.
Pour que le Brésil puisse sortir véritablement
et sincèrement de cette ornière où s'entassent,
chaque jour un peu plus, les cadavres de ceux qui tentent de se
rendre "visiblement humains", il lui faut reconnaître
et promouvoir sans relâche celles qui sont capables de donner
la vie au milieu même des tombes.
Car s'il est une chose à soigner dans la société
brésilienne, ce n'est pas l'invisibilité illusoire
des femmes mais bien la déficience visuelle de ceux qui se
sont rendu aveugles par la négativité de leurs choix
et de leurs actes criminels à leur égard. Qu'ils recouvrent
la vue et ils verront la lumière...
Thierry Robin - novembre 2001
Sources : ONU, US dept, ONG
"CEPIA" Brésil, AFP, TPI-DE, CNDM Brésil
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