| Voilà presque un an, novembre 2001, que le Premier ministre 
              roumain, Adrian Nastase, a décrété un moratoire 
              dans le but de bloquer l'adoption internationale d'environ 6 000 
              enfants " réservés " principalement par 
              des familles d'accueil résidant aux Etats-Unis et en Europe. 
              Quatre projets de loi, destinés à créer un 
              nouveau cadre juridique autour des procédures d'adoption 
              avec pour objectif une meilleure protection des enfants, sont à 
              l'étude. La Roumanie tente par cette décision d'améliorer 
              son image aux yeux de l'opinion internationale et de mettre fin 
              à une réputation particulièrement gênante 
              relative au marché d'adoption d'enfants abandonnés 
              roumains. Sa candidature pour faire partie de l'Union Européenne 
              et de l'O.T.A.N. favorise aussi cette démarche. En effet, 
              à la suite de la chute du régime de Ceaucescu, en 
              1989, l'Europe découvrait " les orphelinats-mouroirs 
              " roumains avec consternation et horreur. Plus de 100 000 enfants, 
              malades et handicapés, issus de familles extrêmement 
              pauvres, y étaient internés, souvent jusqu'à 
              leur mort. Dès lors, et durant tout le début des années 
              1990, les Américains essentiellement et les Européens 
              à moindre échelle, ont adopté un nombre considérable 
              d'enfants roumains, à tel point que le pays arrivait à 
              fournir les deux tiers des adoptions du monde entier. Aujourd'hui, 
              les pressions exercées par les Etats-Unis et l'Europe sur 
              la Roumanie pour débloquer la situation et satisfaire les 
              familles en attente d'adoption se multiplient. Mais ne nous y trompons 
              pas ! Ce ne sont pas uniquement les intérêts des enfants 
              qui priment dans ce genre de lutte diplomatique où la politique 
              officielle masque difficilement les chantages et enjeux officieux. 
              Comme souvent, il a fallut cette décision roumaine pour mettre 
              à jour un certain nombre d'irrégularités et 
              de problèmes liés directement aux circuits d'adoption. 
              Les Etats-Unis, non signataires de la Convention sur les Droits 
              des Enfants émise par l'ONU, ont fort intérêt 
              à ce que la situation se libère le plus rapidement 
              possible, au risque de devoir rendre compte de certaines procédures 
              plus ou moins légales qui ont eu lieu par le passé. 
              L'Europe elle-même n'a pas trop envie que le dossier s'éternise 
              et qu'il révèle sans doute des vérités 
              jusqu'alors minutieusement cachées. Non pas qu'elles aient 
              été littéralement de l'ordre du trafic ou de 
              l'exploitation mais que la révélation d'affaires parallèles 
              amène à faire un amalgame pouvant s'avérer 
              fâcheux pour l'image et l'intégrité de toutes 
              les instances concernées.
 Au fond, toute cette polémique autour du système 
              d'adoption roumain, et par extension, du circuit international, 
              met en exergue l'ambiguïté avec laquelle beaucoup de 
              dossiers étaient traités jusqu'à présent. 
              Elle rend possible également des éclaircissements 
              sur les motivations des familles d'accueil, de revenir sur leurs 
              préjugés et initie, par la même occasion une 
              réflexion plus globale sur le fonctionnement de nos sociétés 
              en matière d'inégalité, d'échanges entre 
              pays riches et pauvres. Car, comme nous pouvons nous en douter, 
              une adoption s'effectue toujours des pays en crise - qu'elle soit 
              due à une guerre ou une difficulté économique 
              majeure - vers les pays riches, mais jamais l'inverse. Si cela peut 
              paraître positif au premier abord, et il l'est dans bien des 
              aspects, les enjeux cachés doivent nous rappeler à 
              une responsabilité accrue. Les questions fusent alors. Ne 
              pourrions-nous pas utiliser la somme d'argent énorme investie 
              dans les circuits d'adoption pour aider directement les pays pauvres 
              afin que les familles tentées d'abandonner leurs enfants 
              ne se dirigent pas vers cette solution dramatique et qu'elles soient 
              capables de les nourrir ? Dans quelle mesure les puissances occidentales 
              ne se servent-elles pas de la pauvreté de certains pays, 
              culturellement proches d'eux, pour satisfaire les besoins maternels 
              et paternels frustrés de leurs propres citoyens ? Si l'adoption 
              reste un beau geste " humanitaire " et humain où 
              l'amour joue sans doute toujours un grand rôle, il est nécessaire 
              que des lois internationales soient établies dans l'intérêt, 
              non pas seulement des familles d'accueil et des intermédiaires, 
              mais surtout et en premier lieu, des enfants dont la souffrance 
              est immense.  L'amour peut tout combler, c'est une certitude, 
              mais aussi faut-il créer les supports humains indispensables 
              à son expression. Que les états ne soient plus les 
              seuls à établir des lois et des procédures 
              juridiques plus ou moins lourdes et étroites dans l'acte 
              d'adoption. Que les âmes de bonnes volontés uvrant 
              aux seins d'associations des droits humains, par exemple, aient 
              plus grandes latitudes dans la gestion et la consultation de ce 
              genre de cas. Et, enfin, que l'adoption ne soit plus considérée 
              comme un remède ultime au soulagement de la misère 
              humaine, mais seulement comme un pansement avant que nous découvrions 
              les moyens de refermer les plaies de l'inégalité et 
              de la violence que nos sociétés encore imparfaites 
              - mais toutefois perfectibles - engendrent et répandent...
 Thierry Robin - septembre 2002
 
 
 
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