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Thierry ROBIN - Photographe
 



Weblog


_ lun. 27 octobre 2003 ___________________

:: Instantané



Par Thierry Robin - 22:12:40 -- Un commentaire ?


_ mer. 22 octobre 2003 ___________________

:: Un 22 octobre...

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[18h40, je suis dans le train qui me conduit jusqu'à Grenoble. Il me restera alors à parcourir quelques 110 km pour rentrer chez moi...]
5h10, ce matin. La sonnerie du téléphone retentit dans ma chambre d'hôtel à Amman. C'est Myriam qui se charge de me réveiller...
Notre avion de la "Royal Jordanian" décolle à 8h50 pour Genève. Tout est bien minuté. Je prends une douche puis avec une certaine nonchalance, je range les dernières affaires personnelles dans mon sac de voyage.
6h10, Doua vient nous chercher à notre l'hôtel pour le départ. Doua est merveilleuse. C'est une femme de 26 ans, Jordanienne et portant le voile. Elle est prof de gym. Volontaire et pleine d'énergie, enveloppée d'une grâce indicible, elle trace sa vie, indépendante...
Chacun des visages que j'ai eu la chance de croiser durant cette mission a été synonyme de joie, de découverte, de complicité humaine et de déchirement au moment de la séparation...
8h55, l'avion décolle. Durant le voyage, nous échangeons des regards, des paroles simples comme pour conjurer le sort qui nous attend au bout de ce couloir aérien. Nous parlons un peu du futur. Nous nous témoignons quelques gestes d'amitié, tendres et furtifs... Durant le vol, nous faisons la connaissance d'une femme, assise à côté de nous. Elle rentre de Palestine où elle a laissé son mari... Elle raconte un peu son histoire à Myriam. Elle pleure lorsqu'elle aborde des moments difficiles de son existence...
14h45, atterrissage à Genève. Evelyne est radieuse de retrouver ses enfants et son gendre. Myriam retrouve avec émotion son conjoint. Quelques effervescences, des regards qui se croisent, ne sachant plus trop quoi exprimer. Nous nous séparons après nous être donné rendez-vous très bientôt pour poursuivre le travail et sensibiliser le monde sur le sort des Irakiennes et des Irakiens.
Il faut que je fasse le vide à présent afin de remettre de l'ordre dans ma tête, dans mon être tout entier. Je n'ai rien oublié et chaque détail sera consigné dans de multiples articles qui seront autant de témoignages qu'il y aura eu de rencontres, de moments forts en humanité, fraternité, sororité. Il faut parler, il faut dire jusqu'à oser défier les lois de la propagande, de la désinformation. La situation politique et économique en Irak se dégrade de jour en jour. Une grande majorité du peuple connaît la raison de la présence de l'armée américaine dans leur pays. Elle n'est pas à but humanitaire ni libérateur. Alors, un autre territoire occupé ? Beaucoup le pensent déjà !
--- English
October 22nd...
[6:40 PM, I am in the train which takes me to Grenoble in France at approximatively 70 miles from my home...]
5:10 this morning: I hear the telephone ringing in my hotel room in Amman. It's Myriam who trys to awake me...
Our plane from the "Royal Jordanian" takes off at 8:50 for Geneva. Everything is timed down to the last second. I take a shower and after that, with a certain nonchalance, I put my personal things in my flight bag.
6:10 AM, Doua comes to get us at our hotel to go to the airport. Doua is fantastic. She's a 26 years old Jordanian woman wearing the veil. She's a physical education teacher. Full of will and energy - and with an indescribable grace - she makes her way in life with independence...
Each face I had the chance to met during this trip was synonymous of joy, discovery, human complicity and heartbreak when we left...
8:55 AM, the plane takes off. During the trip, we share glances and simple words so as not to think of what is waiting for us at the end of this air lane. We talk a little about the future. We show each other some friendship with tender and furtive gestures... During the flight, we make acquaintance with a woman sitting beside us. She comes back from Palestine where she left her husband... She tells Myriam a little of her story. She cries when she recalls difficult moments of her life...
2:45 PM, landing on Geneva airport. Evelyne is radiant of happiness to meet up with her children and her son-in-law again... And so is Myriam with her husband. Some agitation, eyes which meet without knowing what to express. We leave each other after making an appointment in the near future to carry on with our work and make the world aware of the fate of Iraqi people.
Now, I have to empty my mind and my entire being to put it in order. I did not forget anything and each detail will be given in many articles which will testify of all these meetings, these powerful moments of humanity, fraternity, sorority. We ought to speak and, if necessary, to challenge the laws of propaganda and disinformation. The political and economic situation in Iraq deteriorates day after day. A large majority of the people knows the true reason of the American army's presence in their country... No humane goal here, no will to free Iraq! Then, is it another "occupied territory"? That's already the opinion of many people!


Par Thierry Robin - 18:21:25 -- Un commentaire ?


_ lun. 20 octobre 2003 ___________________

:: Décalage

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Lorsque ma montre sonne ce matin, je ne sais pas où je suis. J'ai l'impression d'avoir rêvé toute la nuit de Qassem, d'Oum Aya, d'Aya, d'Omar, de Hanna, de Zeïna, de Hayssam, de toutes celles et de tous ceux dont j'ai croisé le regard et partagé encore bien davantage à Bagdad…
Durant toute cette journée, j'ai ressenti un immense décalage entre la capitale de l'Irak et celle de la Jordanie. Entre une ville en guerre occupée et une autre en paix. Entre un pays quasiment exsangue et un pays vivant. Entre un peuple désemparé, éprouvé et humilié et un autre organisé et tranquille.
Toute cette journée, j'étais encore en Irak en me demandant ce que tous mes amis pouvaient faire : survivre avec un sourire amer. Leur avenir s'arrête à aujourd'hui car demain n'existe pas, pas encore. Ce peuple d'Irak malgré toute sa souffrance reste bon, fraternel et intelligent même s'il est au bord des larmes…
--- English
Gap
When my watch strikes this morning, I don't know where I am. I have the feeling that I have dreamed all the night of Qassem, Oum Aya, Aya, Omar, Hanna, Zeïna, Hayssam, all those I met and with whom I shared so many emotions in Baghdad...
During all the day, I felt a tremendous gap between the Iraqi capital and the one of Jordan. Between an occupied city and another one in peace. Between an almost bloodless country and a country full of life. Between helpless, exhausted and humiliated people and others who are organized and quiet.
All this day, my mind remained in Iraq, wondering what my friends were doing: To survive with a bitter smile. Their future doesn't go further than today as tomorrow doesn't exist, not yet. These people of Iraq, despite all their suffering remain good, fraternal and intelligent, even if he's on the verge of tears...


Par Thierry Robin - 14:09:43 -- Un commentaire ?


_ dim. 19 octobre 2003 ___________________

:: Bagdad - Amman

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J'ai dormi quatre heures cette nuit. Je suis encore rempli des émotions de la veille lorsque nous avons serré nos ami(e)s dans nos bras pour leur dire au revoir. Même Oum Aya s'est blottie contre moi alors que je ne lui avais encore jamais serré la main. Aya m'a fait un gros bisou et s'en est allée avec sa mère dans la rue. Elles seront prises en charge par l'association Al-Amal. Nous sommes pleins d'espoir.
5h45, notre chauffeur arrive. Nous embarquons nos sacs à l'arrière du "GMC Truck Suburban". Dans les rues, très peu de voitures et presqu'aucun piéton. Dans deux heures, les rues seront saturées de monde et de véhicules. Nous quittons lentement Bagdad. Notre chauffeur dit que la semaine dernière, il a été arrêté par les "brigands de la route" et qu'il a vu un autre GMC criblé d'impacts de balles. Voilà une information qui rassure… avant de nous engager sur l'autoroute pour près de 1000 km.
6h15, nous distinguons une courte file de voitures au loin, sous un pont. En nous rapprochant, nous nous apercevons qu'il s'agit d'un check-point placé ici par les Américains pour contrôler les véhicules qui relient Bagdad à Amman. Nous sommes aussi sur la route de Ramadi… Deux chars sont placés en travers de la route, leurs mitraillettes lourdes orientées à 90° l'une de l'autre. Ils sont sept ou huit soldats armés dont un, allongé au sol, nous tient en joue. Sept ou huit policiers irakiens effectuent la fouille, plus décontractés. Chaque voiture est contrôlée avec un intervalle de 30 m entre celle qui est fouillée et la suivante. Nous descendons du GMC. Quatre GI's nous entourent pendant que les policiers irakiens ouvrent le coffre, soulèvent un à un les sacs. J'essaye de soutenir le regard des GI's, d'en croiser un du moins. Ils restent impassibles. L'un me dit : « Veuillez vous écarter de l'endroit de la fouille, s'il vous plaît. » Je m'éloigne. Tout est ok. Nous remontons dans le GMC et repartons. Sur le côté de la route, nous retrouvons les pneus éclatés, en grand nombre. Plus loin, une carcasse de char irakien, rouillée et calcinée. Plus loin encore, un blindé léger dans le même état.
A un moment donné, notre chauffeur ralentit alors qu'il était lancé à plus de 150 km/h. Au bout de quelques minutes, il accélère à nouveau. Je m'aperçois alors qu'il y a une Chevrolet du même gabarit que la nôtre derrière nous. Je demande au chauffeur s'il a attendu pour former un convoi. Il me répond que oui. C'est une mesure de sécurité. Que vaut-elle, je n'en sais rien. De temps à autre, nous croisons une voiture qui roule en sens inverse sur la même voie que la nôtre... 400 chauffeurs jordaniens font la navette entre Amman et Bagdad. Il y a un sacré business dans cette portion depuis la dernière guerre. Au kilomètre 374, nous apercevons un check-point sur la voie opposée de la nôtre : des chars, des blindés, des soldats et, assis par terre, deux Irakiens les mains liées dans le dos et surveillés par un GI debout devant eux. Dépassé ce point de contrôle, nous ne voyons plus que le désert à perte de vue, à droite et à gauche, devant et derrière : un océan de sable.
2h30 plus tard, nous arrivons à la frontière jordanienne. Une file de voitures et de camions attend de passer au contrôle. Pendant que notre chauffeur roule au pas, nous allons présenter nos passeports à la douane. Une heure plus tard, après avoir été fouillés une nouvelle fois, nous repartons. Nous sommes en Jordanie. Nous laissons l'Irak derrière nous pleins d'amertume et de questionnements.
18h, arrivée à Amman ou bien sommes-nous toujours à Bagdad ? Je ne le sais pas encore…
--- English
Baghdad - Amman
I slept four hours this night. I am still full of yesterday's emotions when we clasped our friends to say goodbye. Even Oum Aya snuggled up in my arms though I had never shaked her hand before. Aya gave me a big kiss and went back with her mother in the street. The Al-Amal association will take care of them. We are full of hope.
5:45 AM, our driver arrives. We put our bags at the back of the "GMC Truck Suburban". In the streets, very few cars and almost no pedestrian. In two hours, the streets will be congested with people and vehicles. We leave Baghdad slowly. Our driver says that last week, he was stopped by the "road bandits" and that he saw another GMC riddled with bullet holes. That's very reassuring when one knows that we have to drive 600 miles on the highway…
6:15 AM, we see a short line of cars far off, under a bridge. Getting closer it appears to be a check-point that Americans posted here to control vehicles which travel between Baghdad and Amman. We also are on the road to Ramadi... Two tanks are parked across the road, their machine guns turned at 90° one from the other. They are seven or eight armed soldiers. One of them is stretched out on the ground, keeping his gun trained on us. Seven or eight Iraqi policemen search the cars, more relaxed. Each car is controlled with an interval of 30 m between the following one. We get out of the GMC. Four GI' S surround us while the Iraqi policemen open the trunk, taking the bags one by one. I try to catch the eyes of the soldiers, one of them at least. They remain impassive. One tells me: « Please move away from the car search. » That's what I do. Everything is all right. We get back into the GMC and start off again. On the side of the road, there is a lot of bursted tires. Further, a rusted burnt-out Iraqi tank. Still further, a combat car in the same condition.
At a certain point, our driver slows down (he was driving more than 90 mph). After a few minutes, he speeds up again. Then I realize there is a Chevrolet similar to ours behind us. I ask the driver if he waited to set up a convoy. He agrees. It's a security measure. But I don't know if it is truly reliable. Once in a while, we meet a car which runs in the opposite direction but on the same way… 400 Jordanian drivers operate a shuttle between Amman and Baghdad. There is a real business in this area since the last war. At mile 232, we see a check-point on the other way: Tanks, combat cars, soldiers and, sitting down, two Iraqis with their hands tied up behind their back and a GI keeping watch over them. After crossing this check-point, we see nothing more but the desert as far as the eye can see. On the right and on the left, in front and behind: A sea of sand.
Two hours and a half later, we reach the Jordanian border. A line of cars and trucks is waiting to pass the control. While our driver runs slowly, we show our passports to the customs. One hour later, after having been searched, we start off again. We are in Jordan. We leave Iraq feeling full of bitterness and questionings.
6:00 PM, are we in Amman or always in Baghdad? I don't know it yet...


Par Thierry Robin - 16:39:32 -- Un commentaire ?


_ sam. 18 octobre 2003 ___________________

:: Déchirements…


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Il nous restait quelques cartons que nous destinions à la famille et aux voisins de Qassem, un des serveurs de notre hôtel avec qui nous avions lié amitié. Ce matin donc, Dalila, Hayssam et Qassem partent pour un quartier de Saddar City : une heure de circulation dans les rues et d’embouteillages pour y parvenir. Sur place, les demandes affluent parce que les besoins sont énormes. Dalila, au nom d’ABIR, ne peut y répondre à cause de notre infrastructure insuffisante. Sans doute dans l’avenir le pourrons-nous…
Pendant ce temps, avec Myriam et Evelyne, nous mettons de l’ordre dans nos affaires. Textes, photos, détails qui nous reviennent en tête sont consignés sur papier ou sur ordinateur. Vers 12h00, je décide de faire un tour au check-point afin de m’imprégner de l’atmosphère et de prendre quelques photos, les dernières de ce dispositif militaire. Trois GI’s sont postés aux alentours de la zone de fouille. Je contourne les blocs de béton, appareil photo à la main. Lorsque je croise le regard d’un des GI’s, je vois bien son air réprobateur. « Est-ce que je peux prendre quelques photos ? » De la main il me fait signe que non. Je lui réponds que c’est « OK ! ». Je reviens sur mes pas et me place derrière les blocs de bétons de un mètre de haut. Et je commence à observer. Ce que je ne pourrai révéler par les photos, je le ferai par les mots. Sans doute intrigué par ma présence insistante, il vient vers moi et me demande ce que j’attends ici. Je lui dis que je suis là pour regarder, simplement. « Si vous prenez des photos, je vous confisque votre appareil ! ». « Ok, j’ai compris ! ». Je reste encore quelques secondes puis je m’éclipse calmement… Je me dis alors que du toit de l’hôtel, je pourrai peut-être faire des clichés. En prenant toutes les précautions, j’arrive à cadrer quelques scènes…
A 13h00 Dalila revient avec Hayssam. Nous descendons pour déjeuner. Nous avons invité Oum Aya, sa fille et Hayssam à manger avec nous. La scène est émouvante… Les ondes qui pressentent notre départ sont déjà là. Oum Aya est émue et cache quelques larmes. Nous sommes émus aussi. Nous faisons des photos de groupe en souvenir que j’imprime à partir des ordinateurs de l’hôtel. Oum Aya repart avec une photo noir et blanc (l’imprimante n’est pas couleur) de nous tous avec elle et sa fille au milieu. Puis, la ronde des "au revoir" commence. Cela n’a rien d’évident. Nous nous serrons dans les bras et comme pour conjurer "l’adieu", nous nous promettons de nous revoir dans quelques mois. C’est ce que je souhaite au plus profond de moi… Derniers échanges avec le personnel de l’hôtel sur la situation de l’Irak et les spéculations sur l’avenir proche ou lointain : c’est égal, pourvu qu’on en parle…
Alors que nous montons une nouvelle fois sur le toit pour photographier le coucher de soleil sur le Tigre, nous voyons, en bas, dans la rue, Oum Aya qui montre la photo imprimée à d’autres enfants et femmes des rues… Nous aussi, cette photo, nous la montrerons sûrement à nos proches. Nous rentrons. Il nous faut tout préparer pour notre voyage de demain qui va être long. Nous le connaissons déjà, avec tous ses risques. Sans doute aurons-nous la tête ailleurs, le regard fixe à repasser les uns après les autres tous les visages que nous avons rencontrés. C’est, du moins, ce qui se passera pour moi. Je ne serai probablement pas le seul…
« Ma’a Ssalama Bagdad ! »
--- English
Heartrending experience
We had some boxes left which we intended to give to the family and to the neighbours of Qassem, one of the waiters of our hotel with which we struck up a friendship. Therefore, Dalila, Hayssam et Qassem left this morning to another district of Saddar City: One hour driving in very dense traffic and bottlenecks. In this area, the needs are high and thus the demands are tremendous. Dalila, on behalf of ABIR, cannot fulfill all those demands because of our insufficient infrastructure. Hopefully, we will be able to do more in the future …
In the meantime, Myriam, Evelyne and I put our things in order: Texts, photographs, details that come back to our mind are written down or stored in the computer. Around twelve o'clock I decide to go for a walk to the check-point in order to become filled with the atmosphere and to take some pictures. Those will be the last pictures of this military presence. Three GI’s are standing in the area where the body searches are carried out. I walk around the concrete blocks, my camera ready in my hand. As my eyes met those of one of the GI’s, I felt his reproachful look. « May I take some pictures? » He made a gesture of refusal. I answered with a nod. I go back and stand behind the one meter high concrete blocks and start watching. If I am not allowed to take pictures, I will translate them into words. Obviously, the soldier must be intrigued by my insistent presence. He comes to me and asks « what are you waiting for? ». I answer that I am just watching. « If you take pictures, I will confiscate you camera! ». « Ok, it's all right! ». I stay a few seconds longer and then slip calmly away… It comes into my mind that I possibly can take some photographs from the roof of the hotel. Very carefully I succeed getting some scenes…
At 1:00 PM Dalila comes back with Hayssam. We go down to take lunch together with Oum Aya, her daughter and Hayssam who we have invited. The scene is very emotional... You can feel our departure already in the air. Oum Aya is moved to tears and so are we. We take pictures of all of us which I print on the black and white printer of the hotel (unfortunately no colour printer). As a souvenir, Oum Aya gets a picture of our group with her and her daughter sitting in the middle. Then we begin to say goodbye. It is not simple at all! We clasp each other in our arms and promise to come back in a few months, as to cast the farewell out?. It is what I wish in the deep of my heart… We talk a last time to the people of the hotel about the situation in Irak and the expectations they have for the future, near or distant doesn't matter, as long as we talk about it…
When we climbed a last time on the roof of the hotel to take some pictures of the sunset on the Tigris, we saw in the street beneath Oum Aya, showing her picture to other streetchildren and women … We will certainly do the same, showing the picture to our family. We are leaving. We have to prepare our trip back tomorrow. It will be a long and risky trip, we know it. We will probably have our minds on other matters, remembering all the people we met, the one after the other. That is at least what will happen to me. I surely will not be the only one…
« Ma’a Ssalama Baghdad ! »


Par Thierry Robin - 14:53:36 -- Un commentaire ?


_ ven. 17 octobre 2003 ___________________

:: Les attentes d'un peuple

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9h15 ce vendredi, jour de repos et de prière pour les Irakiens, nous roulons vers l’entrepôt où se trouvent les derniers cartons que nous allons donner à l’association "Al-Amal" (l’Espoir). Il y a beaucoup moins de voitures dans les rues. L’air est toujours aussi difficilement respirable. Haïtham semble fatigué. Il a veillé jusque tard dans la nuit car il était invité à un mariage. La voiture de l’association nous suit avec Hanaa Edward à son bord. Sur le trajet, que je connais bien à présent, nous croisons toutes sortes de vendeurs installés au bord du trottoir. Les uns fournissent des cigarettes, d’autres de l’essence, d’autres encore font office de "change", des liasses de Dinars irakiens empilées sur des tables de fortune. Nous croisons également des blindés américains qui sillonnent la ville…
A ce stade de notre séjour, nous avons donc pu observer la vie dans la rue et recueillir les impressions de beaucoup d'Irakiens et d'Irakiennes. Notre sentiment est que certains médias restituent une image de ce peuple incomplète et défavorable en mettant l'accent sur les attentats. La réalité quotidienne du peuple irakien réside en fait dans la pression, la tension constante causée par la guerre et par l’occupation des forces de la coalition. Celle-ci attise la fibre nationaliste des plus radicaux mais ils ne sont pas majoritaires. Et puis, il y a ces milliers de criminels qui ont été libérés… Force est donc de constater que l’intervention militaire a semé le chaos. Qui aurait pensé le contraire ?
De nombreux Irakiens et Irakiennes que nous avons rencontrés sont totalement désemparés. Les disparités se radicalisent. Le niveau de pauvreté augmente. C’est en prenant le pouls auprès des petites gens, celles et ceux qui ne font pas "l’événement", que l’on comprend les souffrances mais surtout les attentes de ce peuple en termes de paix, de reconstruction politique, sociale et économique. « Un travail, la sécurité et la paix », telles sont ses préoccupations principales… Pour essayer de reconstruire cette paix et cette société, certaines personnes au sein d’organismes et d'associations, comme "Al-Amal" en ce qui concerne les droits des femmes, proposent des solutions contenues dans des projets d’éducation, d’information et d’aide matérielle par l’élaboration de centres destinés à accueillir les actrices et les acteurs du changement. Cela aussi est une réalité qui commence à se faire jour dans Bagdad et dans quelques villes d’Irak. Ainsi, nous avons passé près de 3 heures au sein de l’association ce matin pour déterminer la manière dont "ABIR" pourrait contribuer à l’amélioration de la vie de quelques Irakiens et Irakiennes en particulier, en les aidant à obtenir la place qu’elles réclament et qui est essentielle. Les projets sont multiples...
Cet après-midi, nous apprenons que quinze personnes ont été arrêtées par l’armée américaine à Saddar City, anciennement "Saddam City". A Karbala, des représailles menées pour protester contre cette arrestation ont fait trois morts chez les soldats américains. Certains médias ont omis de mentionner deux autres policiers irakiens, morts également pendant leur service… Nous apprenons aussi que les deux chaînes d’information arabes "Al Jazeera" et "Al Arabia" sont depuis peu surveillées par les Américains et qu’elles risquent des amendes pouvant s'élever jusqu’à 50 000 dollars si elles divulguent des informations non préalablement autorisées par les autorités de la coalition…
Ce soir, nous avons revu Oum Aya et sa fille ainsi que quelques enfants des rues. Evelyne a soigné la plaie d’un des garçons. Dalila et Myriam ont apporté des habits à la mère et à sa fille. Nous la mettrons dès demain en relation avec Hanaa Edward. Oum Aya pleure par intermittence dès qu’elle pense que nous allons repartir. Nous avons des projets pour elle, pour qu’elle s’en sorte, elle et ses enfants. Elle le souhaite elle aussi. Merveilleuse femme…
De retour dans notre appartement, Dalila, Evelyne, Myriam et moi avons échangé nos impressions sur notre séjour. Nous avons plein d'idées que nous concrétiserons dès notre retour en Europe. La nuit tombe. Demain, nous effectuerons les dernières actions prévues avant notre départ. Départ qui nous laisse une montagne d’espoir et un déchirement infini dans le cœur. Une infime partie de ce peuple compte sur nous. Qui s’occupera de tous les autres ?
--- English
A nation's expectations
9:15 AM this Friday, day of vacation and prayer for Iraqis, we run towards the warehouse where are stored the last boxes which we will give to the "Al-Amal" (the Hope) association. There are a few cars in the streets. The air is always unbreathable. Haïtham seems tired. He staid up late in the night because he was invited to a wedding. The association's car follows us with Hanaa Edward on board. On the way - that I know well now - we meet all kinds of sellers standing on the edge of the pavement. Some of them provide cigarettes, others gasoline, others act as "exchange" with wads of Iraqi Dinars piled up on rough-and-ready tables. We also cross American combat tanks cutting across the city...
At this stage of our stay, we have been able to watch the life in the street and record the impressions of many Iraqis. We feel that some medias give an incomplete and unfavourable image of these people by stressing on the attacks. The daily reality of the Iraqi people lies in fact in the pressure, the continual tension brought by the war and the occupation by the coalition forces, which arouses the nationalist feelings of the most radical people. But they are not the majority in the country. Moreover, there are thousands of criminals who were released... We obviously notice that the military intervention has spread the chaos. Who would have thought differently?
Many Iraqis whom we met are completely distraught. Disparities become more radical. The level of poverty increases. By feeling the pulse of the people of modest means, those who aren't big news, one understands their suffering and especially their expectations in terms of peace, political, social and economic rebuilding. "A job, security and peace" are their main concerns... However, it's also a reality which is emerging in Baghdad and in some towns of Iraq that some people within organizations and associations are proposing solutions in order to rebuild the peace and this society (like "Al-Amal" regarding women's rights): For instance, through education, information and financial aid projects and the development of centers intended to welcome the actresses and actors of the change. Thus, we spent nearly 3 hours within the association this morning to determine the way in which "ABIR" could contribute to the improvement of the life of some Iraqis and, in particular, by helping women to play the role which they claim and which is essential. The plans are numerous...
This afternoon, we heard that fifteen people were arrested by the American army in Saddar City, formerly "Saddam City". In Karbala, reprisals occured as protest against this arrest, killing three American soldiers. Some medias omitted to mention two other Iraqi policemen, also died while in service... We also heard that the two Arab media channels "Al Jazeera" and "Al Arabia" are recently under control of the Americans: They might get a fine up to 50 000 dollars if they disclose an information that has not been previously authorized...
This evening, we met Oum Aya and her daughter again as well as street children. Evelyne looked after the wound of one of the boys. Dalila and Myriam brought clothes to the mother and her daughter. Tomorrow we'll introduce her to Hanaa Edward. Oum Aya cries sporadically when she thinks about our departure. We have plans to get her and her children out of this situation. That's what she hopes. What a fantastic woman...
When we returned to our apartment, Dalila, Evelyne, Myriam and me shared our impressions on our stay. We are full of ideas that we will materialize as soon as we will be back in Europe. It's getting dark. Tomorrow, we'll carry out the last actions planned before we leave. This departure leaves us with a great amount of hope and a broken heart. A tiny part of these people relies on us. Who will take care of all the others?


Par Thierry Robin - 17:18:32 -- Un commentaire ?


_ jeu. 16 octobre 2003 ___________________

:: Fariss...


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9h15, Haytham nous attend comme à son habitude dans le hall. Nous échangeons le même sourire et le même geste de la main pour signer notre fraîche et fraternelle amitié. Notre "chauffeur", voilà un mot qui me repousse. Il est infiniment plus que ça. Nous nous rendons donc, tous les cinq, à l’Ambassade de Suisse pour saluer Sylvana, l’amie irakienne de Dalila. Toujours vraie et humaine, elle nous accueille. Nous ne restons pas longtemps, Dalila étant juste venue pour lui apporter un petit présent.
Il est 10h30 lorsque nous nous éclipsons pour nous engouffrer dans le trafic routier bagdadi. J’ai l’impression d’assister à un concert de klaxons, sorte de symphonie à instrument unique multiplié à l’infini, délivrant une cacophonie digne des plus indigestes musiques modernes. La chaleur est présente mais dans une moindre mesure que la veille. 11h00, nous arrivons chez l’oncle et la tante de Haytham. Nous avons décidé de les rencontrer parce qu’ils avaient une histoire à nous raconter, celle de leur fils, leur "unique" histoire depuis sa disparition lors du conflit Iran/Irak. En recueillant leur témoignage, ils espèrent que leur fils sera retrouvé grâce à la diffusion que nous en ferons, notamment par le biais d’Internet. Nous nous y engageons. Leur souffrance ? Ils vivent avec depuis 1982 et ne la quittent pas. Ou bien c’est elle qui a fait sa demeure dans leur cœur, dans leur esprit, dans leur vie tout entière. Deux photos, grandes, sur un meuble. Le temps a eu raison des cadres qui les soutiennent, ils ne tiendront plus longtemps. Combien les parents vont-ils encore tenir, eux, sans nouvelles ? Il n’est pas mort, c’est impossible. Il a disparu, simplement. Il doit vivre en Iran sous une autre identité, qui lui a sans doute été imposée comme à tous les prisonniers de guerre de cette époque allant de 1981 à 1982. Il y a 30 disparus dans le même quartier. Je prends quelques clichés de ces deux parents tenant la photo de leur fils dans les mains, impuissants mais dignes dans leur espoir et leur confiance. Sa mère "Oum Fariss", garde en souvenir une bague qu’il lui avait donné avant de partir pour le front, "au cas où il ne reviendrait pas". C’était un militaire de carrière. Et alors ?! Encore une tragédie humaine. Je pense à tous les autres parents qui se trouvent dans la même situation… Nous les laissons, avec leur histoire. Pour l’heure, nous espérons seulement avoir participé à leur donner un nouvel espoir, pour tenir un peu plus. Nous ferons notre possible dès notre retour en Europe…
Nous rejoignons le trafic pour nous rendre à notre domicile. Quelques minutes après notre arrivée, Hanaa Edward se présente à nous. Nous ne l’attendions presque plus ! Elle est la Présidente de "l’Association Irakienne Al-Amal", une organisation qui vient en aide aux femmes en œuvrant pour la promotion de leurs droits civiques et économiques en Irak. Nous la suivons jusqu’au siège de l’association à Bagdad. Elle accepte un entretien avec nous. Nous parlons de la situation actuelle des femmes irakiennes, de cette période charnière capitale : une occasion qu’il ne faut pas laisser passer. Au moyen de conférences et de débats, Hanaa tente d’éveiller la conscience des femmes qu’elle rencontre sur leur responsabilité dans la reconstruction d’une société nouvelle, plus juste, plus humaine, plus équitable. Elle nous délivre une vision globale de la situation et des actions possibles qui sonne juste et qui trouve en moi un écho très positif. Nous échangeons nos adresses emails. Je sais que nous nous reverrons un jour…
Un de ses chauffeurs (sûrement un de ses amis) nous reconduit au bout de notre rue, barrée par les blocs de béton. Nous rencontrons "Oum Aya" qui, aujourd’hui, a voulu nous présenter son fils. Je l’embrasse quand il me tend ses bras. Je fais un bisou à Aya et prononce un « Salam » à la mère, la main droite posée sur le cœur. D’autres enfants des rues nous ont repérés. Ils ont entre 10 et 12 ans et sont désabusés. Ils nous réclament fermement de l’argent. Malgré leur situation, nous ne pouvons pas céder. Cela occasionnerait un attroupement autour de nous qui pourrait devenir dangereux pour tous. Le chaos impose des lois sur le comportement qui n’acceptent pas la demi-mesure. C’est comme ça. C’est dur et inhumain mais c’est la loi… de la jungle. S’il faut donner, c’est individuellement, pas en groupe. Les dégâts qu’un sentiment d’injustice (il y en a déjà trop) pourrait entraîner sont imprévisibles. Il faut se maîtriser et donner l’impression de contrôler la situation, jusqu’au bout… Il y a des jours où j’ai envie d’hurler ! C’est humain. Il ne faut pas l’oublier.
--- English
Fariss...
9:15 AM, Haytham awaits us in the hall as usual. We exchange the same smile and the same gesture of the hand to show our recent and fraternal friendship. Our "driver", this is a word that I reject. He's much more than that. We go to the Switzerland Embassy to greet Sylvana, Dalila's Iraqi friend. Always sincere and human, she welcomes us. We don't remain for a long time, Dalila just came to bring her a small gift.
It's 10:30 AM when we slip out to rush in the bagdadi road traffic. I have the feeling that I attend a concert of horns, a kind of symphony with one instrument repeated ad infinitum, giving a cacophony worthy than the most indigestible modern musics. The weather is warm but less than yesterday. 11:00 AM, we arrive at the house of Haytham's uncle and aunt. We decided to meet them because they had to tell us a story, the story of their son, their "unique" story since his disappearance at the time of the Iran/Iraq war. They hope that their son will be found thanks to our record of their testimony and its spreading through the Internet. We commit ourselves to it. They live with this suffering since 1982 and they don't leave it. Or it's itself which stays in their heart, in their mind and in their whole life. There are two big pictures on a piece of furniture. Time has left its mark on the frames which hold them, they won't last a long time. And the parents, how long will they survive without news? He didn't die, it's impossible. He simply disappeared. He must live in Iran with another identity which was undoubtedly imposed to him as to all the war prisoners at this time between 1981 and 1982. They were 30 missing of the same area. I take some pictures of these two parents holding their son's photograph in their hands, powerless but noble in their hope and their confidence. In memory, her mother Oum Fariss keeps a ring that he had given her before leaving to the front, "in case of no return". Fariss was a professional soldier. So what?! Still a human tragedy. I think of all the other parents who are in the same situation... We let them with their history. For the time being, we just hope to have taken part in giving them a new hope, to survive a little more. We'll do what is possible as soon as we return to Europe...
We get back to the traffic to return home. A few minutes after our arrival, Hanaa Edward appears. We didn't expect her any more! She's the president of the "Al-Amal Iraqi Association", an organization which helps women by working for the promotion of their civic and economic rights in Iraq. We follow her up to the association head office in Baghdad. She accepts to discuss with us. We speak about the current situation of the Iraqi women and of this major turning point: An opportunity which one should not let pass. Through conferences and debates, Hanaa tries to wake up the consciousness of women she meets on their responsibility in the rebuilding of a new society, more human and more equitable. She gives us a global vision of the situation and possible actions which sound pertinent and which find in me a very positive echo. We swap our email addresses. I know that we'll meet again one day...
One of her drivers (surely one of her friends) takes us back to our street blocked by the concrete blocks. We meet Oum Aya who wanted to introduce us her son. I kiss him when he stretches out his arms to me. I give a kiss to Aya and utter a « Salam » to the mother, the right hand on my heart. Other street children have spotted us. They are between 10 and 12 years old and seem disenchanted. They firmly ask us for money. In spite of their situation, we can't give in. That would produce a gathering around us which could become dangerous for all. Chaos imposes laws on the behavior which couldn't be satisfied with half-measures. It's like that. It's hard and inhuman but it's the law... of the jungle. If it's necessary to give, it's individually not in group. A feeling of injustice (which is already more often the case) could lead to unpredictable damage. It's necessary to control oneself and to give the impression that the situation is under control too... There are some days where I want to scream! It's just human. It should not be forgotten.


Par Thierry Robin - 14:29:04 -- Un commentaire ?


_ mer. 15 octobre 2003 ___________________

:: Les deux rives du Tigre

> Scroll down to get the English
Ce mercredi 15 octobre, la chaleur est étouffante. La température dépasse même les 40 degrés selon notre chauffeur. Nous n’avons pas de nouvelles d’Anaa Edward, la présidente de l’association féminine “Al Amal” pour qui nous avons apporté du matériel. A 10h00 nous partons à sa recherche munis seulement du nom du quartier où elle habite. Nous nous renseignons auprès de plusieurs églises sans succès. Elle est chrétienne et nous espérons trouver une indication en ces lieux de rencontre. Mais rien ! Le curé qui nous accueille semble quelque peu désabusé, sans espoir… Il a peur de nous parler et de nous livrer ses impressions. Nous abandonnons momentanément les recherches.
L’hôpital “Al Kindi” dans le quartier “Al Aqari” n’est pas loin. Nous nous y rendons. Après la fouille, systématique, et quelques tractations d’usage, nous rencontrons le directeur de l’hôpital qui sort juste du bloc opératoire. Nous lui posons quelques questions puis nous sommes “accompagnés” vers la section des femmes malades : certains ont du mal à oublier les directives de l’ancien régime... La réalite qui s’offre à nos yeux est brutale : des mères se trouvent au chevet de leur fille. Dans cette chambre où elles sont six à recevoir des soins, l’atmosphère est pesante. Le personnel de l’hôpital fait ce qu’il peut mais on voit bien qu’il manque une véritable infrastructure et de l'équipement. Un homme dont la fille est allongée sur un des lits interpelle Dalila. Elle va mourir d’un cancer si on ne lui fait pas une radiothérapie. Peut-t-on faire facilement une radiothérapie en Irak aujourd’hui ? Non. Et il n’y pas suffisamment de médicaments pour soulager sa douleur. Elle a 27 ans et deux enfants. Elle en est à sa troisième opération. A ses côtés une fillette de 11 ans. Elle en est à sa deuxieme opération pour une péritonite. Les conditions de vie de ces malades sont déplorables… Nous prenons quelques informations quant à leurs besoins. Puis nous partons.
Vers 12h30 nous arrivons à l’université. Nous sommes bien entendu contrôlés. Bien que méfiants, les agents de la sécurité nous laissent passer. Nous abordons deux jeunes filles qui attendent leur bus. Elles acceptent de nous parler. Notre discussion nous conduira à évoquer beaucoup de sujets. Elles étudient tout le temps et vivent à l’université le plus souvent possible pour des raisons de sécurité. Elles évitent de se déplacer. Cependant, depuis la reprise des cours en septembre dernier, il y a de la vie ici. Beaucoup de filles étudient car elles veulent participer au développement de la société irakienne. Elles laissent le contrôle du pouvoir aux hommes. C’est comme ça. Ce contrôle-là, elles n’en veulent pas. Elles ont peut-être raison. Elles pensent que la communauté internationale ne les aide pas. Elles n'ont aucun contact avec les Américains. Nous prenons congé la gorge serrée. Les sensations qui m’arrivent dans le coeur sont fortes. Je suis à la fois heureux d’avoir eu cet échange et déchiré par leur détresse… Nous rentrons.
Vers 16h30 nous rendons visite à la femme qui se trouve dans notre rue. Nous discutons avec elle. Sa fille, qui nous connaît bien à présent, recherche davantage le contact. Je la prends dans mes bras… Nous lui apportons également des habits. Elle est contente. Je fais quelques photos. Quelques instants plus tard, la fillette pousse un cri en direction d’une autre femme vêtue du “Abaya” noir. Elle se précipite vers elle pour l’embrasser. Elle est anglaise et s’est convertie à l’Islam. Elle revient après vingt jours d’absence. Nous essayons de comprendre ses besoins. Nous la reverrons demain.
A 19h00 nous nous rendons à l'hôtel Palestine pour discuter avec “notre” soldat américain. Des gars de sa section, assis à une table et buvant un café nous disent qu’il est toujours en faction avec son char à proximité du check-point. Nous allons à sa rencontre et convenons d’un rendez-vous vers 20h15. A l’heure dite, nous sommes sur le pas de la porte de sa chambre. Il nous fait entrer. Avant de parler avec lui, nous devons nous présenter à son supérieur. “Pas de politique, pas de questions indiscrètes.” Ok, pas de problème. Nous discutons de ses choix de vie, de son engagement, de ses enfants qu’il a laissés dans l’Indiana. Deux détonations retentissent. Il y est extrêmement attentif. Il n’a jamais tué quelqu’un. Il ne sait pas s’il est prêt… Après son service, il voudrait revenir en Irak pour aider ce peuple mais d’une autre manière… Rêve ou réalite ? A 21h20, nous le quittons car il doit partir rejoindre sa base pour 15 jours et laisser la place à une autre section. Une autre histoire humaine au coeur du chaos.
--- English
Two banks of the Tigris
This Wednesday October 15th, it's oppressively hot. Our driver says that the temperature gets over 40 degrees. We don't have any news from Anaa Edward, the president of the "Al Amal" female association for which we brought material. At 10:00 AM we go in search of her with only the name of the area where she lives. We visit several churches to get information without success. She's a Christian woman and we hope to find an information in these places where people meets. But nothing! The priest who meets us seems somewhat disillusioned, without hope... He is afraid to speak and to give us his impressions. We temporarily stop our investigations.
The "Al Kindi" hospital located in the "Al Aqari" area is not far. We walk there. After the systematic searching and usual negociations, we meet the manager of the hospital who is just leaving the operating room. We ask him some questions and after that we are "accompanied" to the sick women department: There is a difficulty to forget the former régime's order... The reality that occured to our eyes is hard: Mothers are standing at their daughter's bedside. In this room where they are six to receive treatment, the atmosphere is heavy. The hospital staff does what he can but he misses a real infrastructure and equipment. A man whose girl is laying on one of the beds call out to Dalila. She will die of a cancer if a radiotherapy is not done. Can one make easily a radiotherapy in Iraq today? No. And there is not enough drugs to relieve her pain. She's 27 years old and has two children. It's her third operation. At her sides a 11 years old young girl. She has been operated twice for a peritonitis. The living conditions of these patients are terrible... We ask for their needs. Then we leave.
Around 12:30 AM we arrive at the university. Of course we are inspected. Although being suspicious, the security agents let us past. We approach two girls who are waiting for their bus. They agree to speak to us. Our discussion will lead us to evoke many subjects. They are studying all the time and live at the university as often as possible for security reasons. They avoid moving. However, since classes pick up again last September, there is some life here. Many girls study because they want to take part in the development of the Iraqi society. They leave the control of the power to the men. It is like that. This control, they do not want it. Perhaps they are right. They think that the internetional community does'nt help them. They don't have any contact with Americans. We leave them with a lump in our throat. Feelings which are reaching my heart are strong. I'm happy to have had this exchange and torn by their distress at the same time... We go back home.
Around 4:30 PM we visit the woman who leaves in our street. We discuss with her. Her daughter, who knows us well now, is seeking for better relationship with us. I take her in my arms... We bring clothes to her. She is happy. I take some pictures. A few moments later, the young girl pushes a cry towards another woman wearing the black "Abaya". She rushes to kiss her. She's an English women converted to Islam. She returns after she was absent twenty days. We try to know what she needs. We will see her again tomorrow.
Ar 7:00 PM we go to the Palestine hotel to discuss with "our" American soldier. Guys of his platoon, sitted at a table and drinking coffee, say to us that he's still on guard in his tank near the check-point. We go to meet him and agree on a rendez-vous at around 8:15 PM. At the appointed hour, we are on the doorstep of his room. He lets us enter. Before speaking with him, we must introduce ourselves to his superior. "No politics, no indiscreet questions." Ok, no problem!. We talk about his life choices, his commitments, his children left in Indiana. Two bangs rang out. He is extremely attentive to them. He never killed anybody. He doesn't know if he is ready... After his military service, he would like to return to Iraq to help these people but in another way... Dreams or reality? At 9:20 PM, we leave him because he has to return to his base for 15 days, leaving the place to another platoon. Another human history at the heart of chaos.


Par Thierry Robin - 23:53:00 -- Un commentaire ?




:: Aujourd'hui 15 octobre

Aujourd’hui est un jour très particulier ici en Irak. En 1995, Saddam Hussein a demandé à son peuple de l'acclamer et, officiellement, cela aurait été fait par 99% de la population… Nous ne connaissons évidemment pas les répercussions que cela va occasionner durant cette journée. Les Américains sont donc sur leurs gardes : ils auraient reçu des menaces d'attaques émanant d'anciens personnages du régime de Saddam. Hier soir déjà, on entendait les bombardiers voler, sans que nous puissions les voir, dans un bruit sourd et lourd. Les rues étaient calmes en apparence. Ce matin, les hélicoptères ne cessent de tourner dans le ciel depuis 6h00.
--- English
Today, october 15th
Today is a very special day here in Iraq. In 1995, Saddam Hussein requested his people to acclaim him and, officially, that would have been done by 99% of the population... Of course, we don't know repercussions which will occur during this day. Therefore Americans stay on their guards: They would have received attack threats coming from former leaders of Saddam's régime. Already in the evening yesterday, one heards the bombers fly with a muted and deep noise but we were not able to see them. Streets were seemingly quiet. This morning, helicopters haven't stop circling in the sky since 6:00 AM.


Par Thierry Robin - 23:12:24 -- Un commentaire ?


_ mar. 14 octobre 2003 ___________________

:: Rencontres…

> Scroll down to get the English

Hier, vers 16h00 nous sommes allés porter de la nourriture et des habits à la femme qui vit dans la rue avec sa fille. Nous apportons également un cahier et des crayons de couleur. Dalila commence à discuter avec la mère pendant que j’essaie de montrer à sa fille de 3 ans et demi comment utiliser son nouveau “jouet”. Mais elle est attirée par le briquet de Dalila et essaie de l’attraper. Dalila lui dit quelque chose en arabe. La petite fille se retourne vers moi et me le donne. Je la remercie, elle se lève et me colle un bisou sur la joue… Nous ne poursuivons pas trop longtemps la discussion car un homme que nous connaissons bien – il appartient à la sécurité de l’endroit où nous logeons – est venu s’asseoir avec nous, comme ça, parce que nous y étions. Nous prenons rendez-vous avec la mère et sa fille pour un des jours suivant afin de connaître un peu plus sa vie, son parcours. Elle a tant de choses à dire !
Vers 21h00, les tirs reprennent leur cadences irrégulières. Chacun vide son chargeur, constate les dégâts, crie, court, recharge, tire… Ca se passe au bout de notre rue à 200 mètres. Entre 1h00 et 2h00 du matin, des tirs plus lourds redoublent d’intensité, les cris aussi. Les chiens aboient, le coq chante, nous sommes éveillés. Où suis-je ? Nous descendons dans la rue, les sirènes des ambulances mugissent. Il y a de l’agitation. Il y a encore eu des morts…
Aujourd’hui, nous devons nous rendre au centre “Al Hourrya” après avoir récupéré une nouvelle fois les cartons de matériel médical à l’entrepôt où ils sont stockés. Nous sommes convenus avec le personnel masculin du centre de la possibilité d’avoir un entretien avec les femmes médecins qui y travaillent. Chaque jour nous réserve son lot de surprises. Aujourd’hui, nous avons fait le plein ! Hier déjà, nous avions pu rencontrer deux femmes avec des parcours de vie différents. Au début de cet après-midi, nous attendions deux autres femmes pour lier conversation, toujours sur le même thème : leur histoire, leur opinion sur la condition de vie des femmes durant le régime de Saddam, pendant la guerre du Golfe, sous l’embargo, sous l’occupation… Et leurs espoirs pour le futur. Vers 13h30, nous voyons arriver pas moins de six femmes prêtes à répondre à nos questions. Quelques hésitations, quelques malaises… Elles ont besoin de nous poser également des questions, évidemment ! Nous ne sommes pas là pour entendre des réponses toutes faites. Le dialogue et l’échange nous permettront de nous sentir mutuellement en confiance et, peut-être, d’aller plus loin. La magie opère. Après des présentations plus approfondies sur les raisons de notre venue, chacune d’elles se livre et exprime des avis plus libérés sur la notion même de droits des femmes. En dehors de toute connotation religieuse – nous le leur faisons savoir – nous recherchons le contact humain simple mais dans un but précis. Elles le comprennent et essaient de s’affranchir. Nous obtenons des moments de vérité. Les hommes, présents durant l’entretien, ont tout entendu. C’était là l’essentiel.
A ce jour, nous avons recueilli les témoignages de neuf femmes, anonymes ou connues, pauvres ou aisées, chrétiennes ou musulmanes. Il nous reste du temps et les surprises viendront encore, notamment du côté des universités où les filles sont majoritaires. Déjà, nous possédons une bonne base d’éléments nous permettant de mieux comprendre… Mieux comprendre, oui, car tous les préjugés s’effondrent, ici à Bagdad. Une information sur ce centre Al Hourrya nous a également été donnée. L’un des employés nous rappelle que sous le régime de Saddam Hussein, c'était un lieu de torture. Là où l’on soigne aujourd’hui les êtres humains, hier on les torturait ! Certains patients qui l’ont connu par le passé parce qu’ils y ont perdu un frère, une sœur ou un(e) ami(e), pleurent en arrivant.
Le check-point évolue de jour en jour. Ce soir, quatre GI’s discutaient avec leur instructeur sur les nouvelles dispositions… Myriam a obtenu la possibilité de rendre visite à deux d’entre eux dans leur chambre d’hôtel – nous en connaissons déjà un - pour discuter de leur vie ici sur le plan humain mais aussi technique. Nous les rencontrerons demain. Les jours qui viennent vont sûrement voir monter l'intensité des sensations émotionnelles et humaines que les tirs des kalashnikovs tenteront de déshumaniser… Nous sommes en quête de rencontres sensibles et à l’aspect fortuit mais qui, au fond, recèle toute l’histoire de ce pays en train de s’éteindre. Nous ne cherchons pas les événements : nous essayons de trouver ceux et celles qui les vivent. Comment vivre ici dans de telles conditions ? Voilà bien tout le problème. Et personne ne semble vouloir le résoudre !
--- English
Meetings...
Yesterday, around 4:00 PM we went to carry food and clothes to the woman who lives in the street with her daughter. We also bring a book and crayons. Dalila starts to discuss with the mother while I try to show her daughter which is three years old and a half how to use her new "toy". But she is attracted by Dalila's lighter and tries to catch it. Dalila says something in Arabic to her. The small girl turned back towards me and gives it to me. I thank her, she stands up and gives me a kiss on my cheek... We do not carry on with the discussion any longer as a man whom we know well - he belongs to the security where we live - come to sit with us, just like that, because we were there. We take appointment with the mother and her daughter for another day in order to get more information about her life, her story. She has so many things to say!
Around 9:00 PM, shootings resume their irregular rhythms. Every one empties his gun, looks at the damage, shouts, runs, reloads, shoots... It takes place at the extremity of our street at 200 meters. Between 1:00 and 2:00 in the morning, stronger shootings are getting even more intense, cries too. Dogs bark, a cock crows, we are awaked. Where am I? We go down in the street, ambulances' sirens are wailing. There is some agitation. Again, some people were killed...
Today, we have to go to "Al Hourrya" center after having recovered the boxes of medical material at the warehouse where they are stored. We agreed with the male staff of the center about the possibility of having a discussion with the female doctors who work there. Every day brings us its share of surprises. Already yesterday, we managed to meet two women with different lifes. At the beginning of this afternoon, we wait for two other women to strike up a conversation, always on the same topics: Their history, their opinion on the living conditions of women during the Saddam's régime, the Gulf War, under the embargo, the occupation... And their hopes for the future. Around 1:30PM, we see not less than six women arriving and ready to answer our questions. Some of them feel hesitant, uneasy... Of course, they need as well to ask us some questions! We are not there to hear standard answers. Dialogue and exchange of views will enable us to feel mutually in confidence and, perhaps, going further. The magic works. After in-depth introductions on the reasons of our visit, each one of them opens up and expresses free opinions on the concept of women's rights. Apart from any religious connotation - we let them know it -we look for pure human contact but with a clear objective. They understand it and try to speak freely. We get moments of truth. The men, who were present during the conversation, have heard everything. That's the main thing.
At this time, we got testimonies of nine women, anonymous or well-known, poor or rich, Christian or Muslim. We still have time and surprises will arrive, in particular at the universities where girls are in majority. We already get a good basis of elements allowing us to better understand... Yes, to better understand as all prejudices disappear here in Baghdad. We get also some information on the Al Hourrya center. One of the employees reminds us that during the Saddam Hussein's régime, it was a center for torture. Where human beings today are treated, yesterday they were tortured! Some patients who known it in the past because they lost a brother, a sister or a friend, cry when they arrive.
The check-point evolves day after day. This evening, four GI's were discussing with their instructor on the new measures... Myriam obtained the possibility to visit two of them in their hotel room - we know already one - to discuss about their life here from a human but also technical point of view. We will meet them tomorrow. The following days will surely see the intensity of the emotional and human feelings increase that kalashnikovs' shootings will try to make inhuman... We are searching sensitive meetings and with a fortuitous aspect which finally conceals all the history of this dying country. We don't look for events: We try to find those who live them. How to live here in such circumstances? That truly is the real problem. And it seems that nobody have the will to solve it.


Par Thierry Robin - 16:05:49 -- Un commentaire ?




:: La danse du béton

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Alors qu’hier le ciel était couvert et annonçait un rafraîchissement avec un risque de pluie, aujourd’hui, la chaleur est redevenue omniprésente et étouffante. A 9h30, nous accueillons dans le hall les représentantes de l’orphelinat "Dar an-Najat". En sortant, nous nous apercevons que les attentats de la veille ont généré la mise en œuvre de mesures encore plus draconiennes. Trois GI’s au lieu de deux. Les fils barbelés ont été repoussés d’environ 50 mètres et les fouilles se font plus en amont. Les enfants des rues sont tenus, eux aussi, à distance de manière plus ferme. Les blocs de béton s’entassent pour former une, deux, voire trois voies sur la rue qui longe le Tigre. Nous prenons la voie qui passe devant chez nous pour suivre les femmes de l’orphelinat jusqu’à leur bus, celui-là même qui va transporter le matériel de l’entrepôt jusqu’aux enfants. Alors que Dalila, Myriam et Evelyne partent dans le car avec les femmes, moi je file avec notre chauffeur, dans la "Passat" !!!
Nous empruntons l’avenue qui a vu l’attentat meurtrier se dérouler hier. Dans la nuit, des blocs de bétons de trois mètres de haut ont été érigés pour cacher la vue des dégâts et des restes… Un char est posté sur le côté et des blindés légers manoeuvrent devant l’endroit sinistré. Les rues sont surchargées, les klaxons hurlent à tue-tête, les sens interdits deviennent des voies à sens unique pour celui qui s’imposera le premier. Ainsi, rouler à contre sens fait parti du code de la route bagdadi récemment adopté par tous les conducteurs. Les femmes qui marchent dans les rues sont toutes différentes les unes des autres. Les femmes vêtues d’un habit noir appelé "Abaya" qui les recouvre jusqu’aux pieds, marchent souvent en se dandinant. Celles qui sont habillées "à l’occidental" se tiennent droites et marchent dignement. D’une manière générale, les femmes drapées de noir se promènent seules ou accompagnées d’un de leurs enfants. J’en ai vu certaines qui retournaient des poubelles et les triaient. Les autres marchent par groupes de trois ou de quatre...
Tous les visages que je peux voir grâce à la promiscuité du trafic routier sont graves, durs parfois. Les Irakiens sont sur les dents. C’est encore et toujours l’insécurité. Une bombe peut exploser n’importe où et à n’importe quel moment. J’en ai été témoin. A l’entrepôt, nous nous apercevons que certains cartons ont été ouverts. Des affaires manquent. Nous nous en doutions mais que faire ? Personne n’a le temps ni l’envie de se plaindre. L’urgence est ailleurs. Le bus est rempli des cartons qui lui étaient destinés et il s’en va. Nous prenons congé du personnel de l’entrepôt et nous nous dirigeons vers la maison de Hanaa Edward. Elle n’est pas là. Le portail est fermé. Personne ne répond aux coups de sonnette répétés. Quelques secondes plus tard, une femme ouvre une porte et nous regarde de loin. Dalila l’interpelle. Elle nous fait rentrer chez elle. Notre première interview commence. Ses mots ne sont pas très différents de ceux des autres femmes. Elle craint - que dis-je ! - Elle est terrifiée par le manque de sécurité. Elle n’a jamais connu cette situation même du temps de Saddam ! Son frère a été kidnappé il y a deux mois, son beau-frère également. Elle est médecin et travaille actuellement pour une ONG en tant que gynécologue obstétricienne. Son portrait est touchant. Elle est issue d’une famille aisée. Lorsque nous lui demandons d’exprimer son rêve pour le futur, sa réponse a été d’espérer que l’Irak devienne un pays sûr pour ses citoyens et que le pays puisse repartir à zéro, de rien, comme après une apocalypse.
Nous prenons congé d’elle une heure plus tard. Nous décidons de nous rendre alors à l’Organisation of Women’s Freedom in Iraq avec laquelle j’avais pris contact par email, avant de partir. Nous nous rendons dans le quartier qui se trouve à quelques dizaines de mètres de chez nous. Une fois l’entrée repérée, nous nous présentons au garde non armé qui commence une fouille de nos affaires sous l’œil attentif de Leïla Mohammed venue à notre rencontre. Une fois à l’intérieur de son bureau, je me présente à elle, lui rappelle l’historique de nos contacts. Son visage s’éclaire tout à coup et se souvient. Nous entamons une discussion sur le travail de l’organisation qui appartient à un mouvement politique communiste. Elle nous confirme les exactions perpétrées contre les femmes, sous le régime du parti Baas jusqu’à aujourd’hui sous l’occupation. Kidnappings, viols, meurtres et violence quotidienne.
Après cet entretien, nous sommes assez fatigués. Il est 14h30 et nous rentrons en voiture comme d’habitude. L’animation autour du check-point crée une atmosphère toujours plus tendue et nerveuse. Les enfants des rues sont refoulés violemment à présent… Il est 19h00, la rue s’embrase. Des coups de feu retentissent. L’agitation monte jusqu’à nos fenêtres. Les hélicoptères reprennent leur manège aérien et les sifflets poussent leur cri strident. Avec Myriam, alors que nous surveillons l’évolution du check-point chaque jour, nous nous disons que tout cela ne peut que mal finir. Bagdad tout entier devient une prison, dont les blocs de béton construisent les murs. Reste à savoir qui se trouve à l’intérieur...
Thierry
Nous sommes au cœur d’une monstruosité decidée ailleurs, dans l’esprit et les bureaux de quelques énergumènes. Cette monstruosité se trouve aussi dans notre cœur à nous tous, lovée quelque part dans nos indifférences, nos préoccupations étouffantes, notre inaction collective pour un monde démilitarisé et respectueux.
Myriam
--- English
The concrete dance
While the sky was overcast yesterday, announcing a cooling with a risk of rain, the heat is again everywhere today and stifling. At 9:30 AM, we welcome in the hall the representatives of the orphanage "Dar an-Najat". When we go out, we realize that the attacks of the day before led to the set up of even more draconian measures. Three GI's instead of two. The barbed wire has been push back from approximately 50 meters and the body searches are carried out beforehand. Also, the street children are kept at a distance in a firmer way. The concrete blocks pile up to form one, two, or even three ways on the street which runs along the Tigris. We take the road which goes past our home to follow the women of the orphanage to their bus, the one which will transport the material from the warehouse to the children. While Dalila, Myriam and Evelyne take the bus with the women, I dash with our driver in the "Passat"!!!
We take the avenue where the murderous attack took place yesterday. During the night, concrete blocks of three meters high were erected to hide the damage and the remains... A tank is posted on a side of the road and armoured cars operate in front of the disaster area. The streets are swarming with people, the horns are howling, the one-way streets belong to the one who impose himself first. Thus, to run the wrong way becomes part of the highway code in Baghdad recently adopted by all the drivers. The women who walk in the streets are all different. The women wearing a black dress called "Abaya", which covers them down to the feet, often waddle along. Those dressed like Westerners stand up straight and walk with dignity. Usually, the women dressed in black walk alone or accompanied by one of their children. I saw some of them who turned over the garbages and sorted them. The others go by groups of three or four...
All the faces which I can see thanks to the promiscuity of the traffic are serious, hard sometimes. The Iraqis are exhausted. Still and always the insecurity. A bomb can explode anywhere at any time. I can testify. At the warehouse, we realize that certain boxes were open. Things are missing. We suspected that but what can we do? Nobody has time nor the desire to complain. The urgency is elsewhere. The bus is filled with the boxes which were intended for it and it goes away. We take leave of the staff of the warehouse and we move towards the house of Hanaa Edward. She's not there. The gate is closed. Nobody answers the repeated rings. A few seconds later, a woman opens a door and looks at us from a distance. Dalila calls out to her. She let us in. Our first interview starts. Her words are not very different from those of other women. She fears - what do I say! - She's terrified by the lack of security. She never knew this kind of situation, even in Saddam's day!. Her brother was kidnapped two months ago, her brother-in-law too. She's a doctor and currently works for an NGO as a gynaecologist obstetrician. Her story is touching. She's born into a well-to-do family. When we ask her to express her dream for the future, she answers that she hopes that Iraq becomes a secure country for its citizens and that the country could start again from scratch, as after an apocalypse.
We take leave of her one hour later. We decide to go to the Women's Freedom Organization in Iraq which I contacted by email before leaving. We go in the area which is at about ten meters from home. Once we located the entry, we present ourselves to the unarmed guard who begins the search of our things under the watchful eye of Leïla Mohammed who came to meet us. Inside her office, I introduce myself, remind her the history of our contacts. Her face lights up suddenly and she remembers. We start a discussion about the work of the organization which belongs to a communist movement. She confirms the abuses perpetrated against women under the régime of the Baas party until the occupation today. Kidnappings, rapes, murders and daily violence.
After this interview, we feel tired. It's 2:30 PM and we go back by car as usual. Animation around the check-point creates an atmosphere increasingly tense and nervous. The street children are driven back violently now... It's 7:00 PM, the street blazes up. Gunshots resound. Agitation goes up to our windows. The helicopters begin to circle again; the whistles push their strident cry. With Myriam, while we control the evolution of the check-point every day, we think that it will all end in disaster. Baghdad becomes entirely a prison of which the concrete blocks build the walls. The main thing is to know who remains inside...
Thierry
We are in the heart of a monstrosity decided elsewhere, in the mind and the offices of some maniacs. This monstrosity is also in the heart of all of us, coiled up somewhere in our indifferences, our choking concerns, our collective inaction in favor of a demilitarized and respectful world.
Myriam


Par Thierry Robin - 02:19:51 -- Un commentaire ?


_ lun. 13 octobre 2003 ___________________

:: Contacts

> Scroll down to get the English
Hier soir, munies d’un peu de nourriture, Dalila et Evelyne sont allées à la rencontre des enfants des rues qui dorment toutes les nuits au pied des hôtels. Comme nous le ferions pour des animaux sauvages, il nous faudra quelques soirées pour les "apprivoiser". Parmi eux, trois filles dont une qui était enceinte en mai dernier lors du précédent voyage de Dalila…
9h00 ce matin, nous sommes dans la voiture qui doit nous conduire à nos multiples rendez-vous. C’est une Volkswagen Passat qui a dû être rouge il y a longtemps, très longtemps. En Europe, personne n’oserait monter dans cette voiture. Ici, les exigences de la route et de la vie font reculer ces limites. Assis à l’arrière, je remarque que les instruments de bord ne fonctionnent pas, ni compteur de vitesse ni jauge à essence. Les fils électriques sont bricolés sous le volant et touchent presque les pieds du conducteur. Quant au confort, c’est un mot que nous ne pouvons utiliser dans ces circonstances puisqu’il n’y en a tout simplement pas. Sa fonction est réduite à son minimum : rouler.
Nous faisons environ 300 mètres – même ceux-là, nous ne les faisons pas à pied - pour nous rendre au bureau qui est chargé d’acheminer le matériel de l’aéroport d’Amman à Bagdad. La voiture tombe en panne. Pendant que nous discutons avec le responsable du bureau, le chauffeur range sa voiture sur le côté, quelques 50 mètres en-deçà. A notre retour, il nous dit qu’il a besoin de réparer sans savoir combien de temps cela va lui prendre. Nous décidons de rentrer chez nous en attendant qu’il revienne nous chercher. Un employé du bureau nous propose de nous ramener en voiture, ce que nous acceptons. Il nous dépose devant le barrage qui obstrue l’entrée de notre rue. Nous faisons les derniers 50 mètres à pied.
Avec Myriam, nous décidons d’aller nous asseoir sur le rebord d’un de ces blocs de béton placés par mesure de sécurité, au niveau du « check point ». Le GI avec qui nous avons discuté la veille nous salue d’un geste de la main. Nous lui rendons son « Hello! ». Nous n’attendons pas plus de quelques secondes pour voir arriver deux enfants des rues, deux garçons. Ils nous interpellent, nous tendant la main pour que nous la saisissions et pour que nous y mettions 1 dollar ou 2. Nous engageons la conversation, succinctement : « What’s your name? », « Where do you come from? ». L’un des deux garçons a un pistolet à barillet, un jouet. Je fais quelques photos. Ils me demandent même de poser.
Une heure plus tard, notre chauffeur revient avec la voiture réparée. Dalila lui demande si elle va tenir le coup. Il l’a réparée, elle tiendra ! Durant nos trajets, nous passons plusieurs contrôles de police. Nous apprenons dans l’après-midi qu’il y a eu trois attentats dans Bagdad. Nous étions sur ces différents lieux quelques minutes après les événements… Les coupures d’électricité se multiplient le restant de la journée jusque dans la soirée.
Ce soir, nous sommes descendus dans la rue pour distribuer quelques vivres aux enfants et discuter avec une mendiante et sa fille de trois ans et demi. Nous lui donnons un sac contenant un peu de nourriture. La fillette dévore la banane et la pomme en un temps record. Pendant ce temps, Dalila lui demande les raisons de sa présence dans la rue. En retenant ses larmes – elle n’essaie pas de nous attendrir, ça se voit – elle lui raconte sa vie et ses souffrances, sans limites. Soudain, elle s’arrête de parler. Je vois ses yeux brillants à la lueur pâle de l’entrée de l’hôtel. Je m’éloigne avec Myriam qui, à l’abri des regards, sort 5000 Dinars irakiens du sac à dos puis revient sur ses pas.
Thierry
Ce matin, le ciel est couvert. L'air est opaque et irrespirable. Bruit et odeurs de carburant brûlent les yeux, irritent la gorge et agressent les oreilles. Chaleur étouffante (39,5°). Nous visitons deux orphelinats et ensuite nous nous rendons à l'ambassade de Suisse. Surprise : derrière le guichet, Sylvana, l'Irakienne dont j'ai fait la connaissance au mois de mai. Elle est secrétaire à l'ambassade. A l'époque, elle travaillait pour une ONG.
Sur la route, nous apercevons un manège d'hélicoptères. Notre chauffeur s'arrête et, en compagnie de Myriam, nous fait quelques commissions. A son retour, il m'apprend qu'un attentat vient de se produire contre l'hôtel Bagdad à trois minutes à pied de l'endroit où nous logeons. Des hélicoptères tournent comme des vautours, des avions de chasse passent plus haut. Notre rue est presque déserte. Un autre attentat plus loin dans le quartier Alkarkh, nous y étions hier. J'allume la télé pour écouter les nouvelles sur Al Jazeera, j'apprends qu'un troisième attentat a eu lieu contre un barrage de police devant lequel nous sommes passés ce matin.
Depuis la chambre, j'entends des cris de femmes et d'hommes. Je pense à une manifestation. Mais il est 17h. Des manifestations à cette heure ? Peu probable. Dans le Cyber Café (grande nouveauté), je me renseigne auprès d'un employé qui m'apprend que ce sont les hurlements des familles des victimes… Ce qu'il y a de positif, c'est qu'au-dessus des hôtels Palestine et Sheraton, il y a un grand cercle de ciel bleu. Les hélices des hélicoptères ont fini par chasser les nuages ?!!! Donc pas de crainte pour nous. Nous sommes sous haute surveillance.
Dalila
--- English
Contacts
Yesterday evening, provided with a little food, Dalila and Evelyne went to meet street children who sleep every night at the hotels' feet. As we would do with savage animals, we will need a few evenings to bring them out of their shell. Among them, three girls whose one was pregnant in May during the last trip of Dalila...
9:00 this morning, we take the car which must lead us to our many appointements. It's a Volkswagen Passat which use to be red a long time ago, very long time. In Europe, nobody would dare to get into this car. Here, the particularities of the road and of the life push these limits. At the back seat, I notice that the controls don't work, neither speedometer nor petrol gauge. The electric wires are arranged under the wheel and nearly touch the driver's feet. With regards to comfort, it's a word which we can't use in these circumstances since it simply doesn't exist. The function of this car is reduced to its minimum: To run.
We run approximately 300 meters - even for a short distance, we don't walk - to go back to the office which has to convey the material from the Amman airport to Baghdad. The car breaks down. While we discuss with the person in charge of the office, the driver parks his car 50 meters further. When we come back, he tells us that he needs to repair without knowing how long it will take. We decide to return home until he come to collect us. An employee of the office offers to bring us back by car, which we accept. He drops us in front of the roadblock which obstructs the entry of our street. We make the last 50 meters on foot.
With Myriam, we decide to sit on one of these concrete blocks placed by safety measure, near the check point. The GI with whom we chatted the day before waves to us. We return his "Hello". A few seconds later, two street children arrive, two boys. They hail us, holding out the hand so that we seize it and put 1 or 2 dollars in it. We start up a conversation, briefly: "What's your name?", "Where do you come from?". One of the two boys has a gun, a toy. I make some photographs. They even ask me to pose.
One hour later, our driver comes back with the car repaired. Dalila asks him if it will last. He repaired it, yes it will! During our trips, we pass several police checks. We learn in the afternoon that three attacks occurred in Baghdad. We were on these differents places a few minutes after the events... The power cuts increase the rest of the day until the evening.
This evening, we came down in the street to distribute some food to the children and to discuss with a beggar and her three years old and half daughter. We give her a bag containing some food. The young girl devours banana and apple in record time. Dalila asks her the reasons of her presence in the street. Holding back her tears - it's obvious that she doesn't try to move us to pity - she tells her her life story and her sufferings, without limits. Suddenly, she stops talking. I see her brilliant eyes under the pale light of the entrance of the hotel. I move away with Myriam who, hidden from view, takes 5 000 Iraqi Dinars out of her backpack and retraces her steps.
Thierry
This morning, the sky is overcast. The air is opaque and unbreathable. Noise and petrol smells burn the eyes, irritate the throat and attack the ears. Suffocating heat (39,5°). We visit two orphanages and then we go to the embassy of Switzerland. Surprise: Behind the counter, Sylvana, the Iraqi woman whom I met in May. She's a secretary for the embassy. At this time, she worked for a NGO.
On the road towards our home, we see movements of helicopters. Our driver stops and goes shopping in company with Myriam. When he comes back, he tells me that an attack has just occurred against the Baghdad hotel, three minutes on foot from the place where we live. Helicopters circle like vultures, fighters fly higher. Our street is almost deserted. Another attack further in the Alkarkh area: We were there yesterday. I switch the tv on to listen to the news on Al Jazeera. I learn that a third attack took place against a police roadblock which we passed this morning.
From the room, I hear cries of women and men. I think of a demonstration. But it's 5:00 PM. Demonstrations at this hour? Unlikely. In the Cyber Café (great innovation), I get information from an employee who tells me that we hear the howls of the families of the victims... The positive thing is that above the hotels Palestine and Sheraton, there is a large circle of blue sky. The propellers of the helicopters end up driving away the clouds?!!! Thus no fear for us. They keep a close watch on us.
Dalila


Par Thierry Robin - 01:47:13 -- Un commentaire ?


_ dim. 12 octobre 2003 ___________________

:: Journée du 11 octobre

Alors que nous prenions notre petit déjeuner dans la salle de l’hôtel prévue à cet effet, Dalila s’aperçut que notre nouveau chauffeur nous attendait dans le hall un étage plus bas. L’architecture octogonale intérieure de notre hôtel nous permet de voir facilement les personnes qui se trouvent aux niveaux inférieurs. Dalila nous laisse nous préparer pendant qu’elle part s’enquérir des modalités de notre "deal" avec le chauffeur. Problème de disponibilité de voiture ! Qu’à cela ne tienne, pour $50, nous lui demandons de revenir avant la fin de la matinée avec une voiture qu’il aura empruntée à un ami.
Pendant ce temps, nous décidons de nous rendre au Palestine, à la recherche d’un journaliste suisse pour Myriam et de contacts qui déboucheraient sur d’éventuels échanges. Le Palestine se trouve juste en face de notre hôtel. Pour y accéder, nous devons passer un "check point". Nous nous avançons au-devant du premier poste qui doit s’assurer que nous ne cachons pas d’armes ou d’objets contondants. Dalila, Myriam et Evelyne sont fouillées par des femmes et moi par des hommes, 3 mètres plus loin. Libérés, nous poursuivons notre chemin jusqu’à ce que nous arrivions 30 mètres plus loin, près d’un char américain devant lequel se trouve un soldat. Je lui demande si je peux faire une photo. Il me répond qu’il ne peut pas me donner l’autorisation, mais que si je prends la photo sans être vu, pas de problème. Nous engageons un peu la conversation. Nous apprenons qu’il vient de l’Indiana et que son nom est ***. C’est marqué sur son casque ! Il est ici pour six mois encore. Nous le laissons car un camion chargé de blocs de béton arrive. C’est pour renforcer la protection.
50 mètres plus loin, je me retourne et cadre une photo que je voudrais prendre d’une colonne de blindés légers stationnés non loin de l’hôtel. Les bras des militaires se lèvent, un Américain en chemise bleue se dirige vers nous et nous lance en anglais « be careful, they are nervous! ». Je fais un signe de la main vers les soldats pour leur signaler que c’est ok ! et je m’éloigne calmement. J’avais pris quand même la photo ! Nous entrons dans le Palestine sous les yeux des gardes irakiens postés à l’entrée. Un « Salam » et nous générons un semblant de sourire sur leur visage. A l’intérieur, une foule éclectique où se croisent sans cesse journalistes internationaux, hommes d’affaires et divers acteurs de la société civile.
Nous ressortons pour entrer dans l’hôtel Ishtar, anciennement « Sheraton ». Nous nous installons au comptoir et commençons à discuter avec la serveuse. Elle nous dit que son mari n’a plus de travail. Il était militaire sous le régime de Saddam Hussein. Elle assure toute seule les revenus de la famille. Comme tous les Irakiens que nous interrogeons, elle craint pour sa sécurité. Lorsque nous lui posons une question sur les associations humanitaires dont elle aurait connaissance et qui pourraient oeuvrer actuellement à Bagdad, elle nous met immédiatement en contact avec une association irakienne qui se trouve être dans l’hôtel. Un homme vient nous chercher et nous montons au premier étage. Le fondateur de cette association est le Cheikh Abdul Mune’m Al Timemi. Sa nièce est à ses côtés. Nous n’arriverons pas à la faire parler. Au bout d'une heure d'entretien, nous prenons congé et sortons du Ishtar.
Alors que nous regagnons notre hôtel, un homme avec un enfant de 2 ans dans les bras nous aborde. Il pose l’enfant au sol et commence à interpeller Dalila en Arabe afin d’obtenir de l’argent dans le but d’acheter des médicaments pour sa fille. Une fille ? Cette enfant est méconnaissable. Ses yeux sont déformés et l'un est complètement fermé. Elle est presque chauve : le manque de cheveux par touffes entières nous dévoile un crâne gris. Sa peau est recouverte d’écailles. Alors que son présumé père (nous n’en sommes pas sûrs) nous dit qu’elle a "la maladie du poisson", la petite fille se fait pipi dessus avant de venir se blottir contre les jambes de cet homme. C'est assez terrible comme vision. Nous lui donnons quelques dinars irakiens qu'elle serre dans ses petits doigts, déformés eux aussi, et nous laissons un autre groupe de personnes prendre en charge la conversation.
De retour à notre hôtel, nous montons dans la voiture pour nous diriger vers "le Service des Intérêts Français en Irak" afin que je puisse signaler ma présence à Bagdad en cas de problèmes. Je laisse mes coordonnées au consul. Nous échangeons quelques mots - en Français ;o) – sur la situation actuelle et nous nous quittons en nous souhaitant bonne chance. Nous tentons ensuite de nous rendre au domicile d’Anaa Edward. Elle n’est pas là, nous laissons une carte de l’association ABIR à sa voisine. Nous repasserons demain pour convenir d’un rendez-vous pour la distribution du matériel.
Il est 14h00. Nous filons chez les amis de Dalila qui nous invitent à manger. Au sommaire des discussions, outre le partage de la nourriture, l’Irak, bien entendu. Les morts, toujours, les assassinats… K. (je ne dévoile volontairement pas son nom) nous apprend alors que son ami a été tué la veille. Je ne sais pas quoi dire. J’ai des sensations d’horreur qui me traversent le corps. Au récit d’autres atrocités qu’il nous dévoile, les unes après les autres, des larmes montent et embrument mes yeux. J’ai un mal fou à les retenir. Coupure de courant. Il sort dans son jardin et démarre son groupe électrogène de secours. La télé, qui fonctionne en permanence - ça les rassure - se rallume et délivre ses infos tragiques. Il nous dit que depuis le mois de mars dernier, il ne dort plus dans son lit, avec son épouse, mais sur le canapé au rez-de-chaussée avec sa Kalachnikov à proximité, au cas où.
Il est 18h00, la nuit tombe, il faut que nous rentrions, vite avant qu’il fasse trop noir. A 18h45, après le "check point", nous déposons nos affaires dans nos chambres. Demain, nous irons à l’orphelinat...
--- English
Day of October 11
While we have breakfast in our hotel, Dalila realized that our new driver his awaiting us in the hall. The inside octagonal architecture of our hotel allows us to see the people who are at the lower levels. Dalila lets us get ready while she goes to get information regarding our deal with the driver. There is a problem of availability with the car! Never mind: For US$50, we ask him to come back before the end of the morning with a car taken from a friend.
During this time, we decide to return to the "Palestine" to look after a Swiss journalist for Myriam and to get contacts which would lead to possible exchanges. The Palestine is just on the other side of our hotel. To reach it, we must go through a check point. We move ahead toward the first post where soldiers must check that we don't hide weapons or blunt instruments. Dalila, Myriam and Evelyne are searched by women and myself by men, 3 meters away. Once released, we carry on our way until we arrive 30 meters further, close to an American tank in front of which stands a soldier. I ask him if I can make a photo. He answers me that he cannot give me the authorization, but if I take the photo without being seen, no problem... We start to talk a while. We learn that he comes from Indiana and that his name is ***. It's mentioned on his helmet! He is still here for six months. We leave him because a truck arrives loaded with concrete blocks to strengthen the security.
50 meters further, I turn back with intent to take a photo of a column of armoured cars parked near the hotel. The soldiers wave their arms. An American in a blue shirt moves towards us and call out to us « Be careful, they are nervous! ».I make a sign with the hand towards the soldiers to tell them that it's ok! And I move away calmly. Nevertheless, I had taken the picture! We enter the Palestine under the eyes of Iraqi guards who stand at the entrance. A "Salam" and we get a sort of smile on their face. Inside, there is an eclectic crowd of international journalists, businessmen and various actors of the civil society.
We go back and enter the Ishtar hotel, formerly "Sheraton". We settle at the bar and start to discuss with the barmaid. She tells us that her husband has no more work. He was a soldier under the régime of Saddam Hussein. She ensures alone the incomes of the family. As all the Iraqis whom we question, she fears for her security. When we ask her a question about humanitarian associations currently working in Baghdad, she brings us immediately into contact with an Iraqi association settled in the hotel. A man comes to seek us and we go up to the first floor. The founder of this association is Cheikh Abdul Mune' m Al Timemi. His niece stands beside him. We can't manage to make her talk. After one hour of conversation, we leave Ishtar.
While we return to our hotel, a man holding a 2 years old child in his arms approaches us. He puts down the child on the floor and starts to discuss with Dalila in Arabic in order to get money to buy drugs for his daughter. A girl? This child is hardly recognizable. Her eyes are deformed and one is completely closed. She is almost bald: Missing tufts of hair reveal a gray head to us. Her skin is covered with scales. While her supposed father (we are not sure) tells us that she's suffering from "the fish disease", the small girl has a pee on herself and snuggles up against the legs of this man. This scene is rather terrible. We give her a few Iraqi Dinars which she clutches in her small fingers, also deformed, and we let another group of people deal with the conversation.
Back to our hotel, we take the car to go to "the Department of the French Interests in Iraq" so that I can announce my presence in Baghdad in the event of problems. I give my address to the consul. We exchange a few words - in French;o) - about the current situation and we leave each other wishing us "good luck". Then we try to go to the residence of Anaa Edward. She is not there. We leave a card of the ABIR association to her neighbor. We will come again tomorrow to make an appointment regarding the distribution of the materials.
It's 2:00 PM. We go to visit the friends of Dalila who invite us for lunch. We share the food and talk about Iraq, of course, the deads, always, and assassinations... Then K (I voluntarily don't reveal his name) tells us that his friend was killed the day before. I don't know what to say. Feelings of horror cross my body. The story of other atrocities that he reveals to us, the ones after the others, moves me to tears, clouding my eyes. I can hardly hold them back. Power cut. He goes out in his garden and starts his generator supply. The TV, which is always on (it makes them at ease), lights up again and gives its tragic news. He tells us that since last March, he doesn't sleep any more in his bed with his wife but in the sofa on the first floor with his Kalachnikov at hand, in case.
It's 6:00 PM, the night is falling. We have to return quickly before it becomes too dark. At 6:45 PM, after the "check point", we leave our things in our rooms... Tomorrow, we will go to the orphanage...


Par Thierry Robin - 02:05:14 -- Un commentaire ?


_ sam. 11 octobre 2003 ___________________

:: Une vision brouillée

Lorsque nous descendons prendre notre petit déjeuner ce matin du 10 octobre, la rue est animée. Quelques véhicules se présentent au « check point ». Fouille intérieure et extérieure d’usage puis les voitures s’engouffrent dans l’allée qui les conduit jusqu’au "Palestine". Plus tard, lorsque la circulation semble se calmer, un enfant irakien propose à un soldat américain de lui cirer ses chaussures. Le GI accepte. La scène est des plus cocasses. L’enfant recevra 1 dollar. Par la suite, une petite fille d’à peine 5 ans vient vers moi. « Hi! One dollar? ». « Hi! One dollar? ». Je lui demande son nom. « Hi! One dollar? » me répète-t-elle. Elle ne sait dire que ça. Elle a de grands yeux noirs noyés dans le vide. Sa mère la rappelle et elle disparaît à mes yeux comme elle était apparue. Un fantôme.
Ce soir, je suis descendu dans le hall de l’hôtel discuter avec le réceptionniste au sujet des derniers événements ainsi que de ses sentiments sur les conditions de vie des irakiens depuis la dernière guerre. Calmement, il me raconte qu’il vit dans l’insécurité permanente. Les américains ne sont plus aptes à assurer la sécurité du peuple, de ces petites gens qui ne demande qu’une seule chose : la paix et du travail pour nourrir leur famille. Ils ressentent également que les GI's ont peur des attentats, peur de ces balles qui peuvent venir de n’importe où et atteindre n’importe qui. Chaque jour, des civils sont les victimes d’agressions meurtrières autant que les militaires américains ! Qui en parle ?
Finalement, les Irakiens savent très bien que l’armée des Etats-Unis n’est pas venue pour eux. Le réceptionniste finit par m’avouer : « Je n’ai plus d’espoir quant à l’avenir de l’Irak et de son peuple. Il faut un miracle de Dieu, à présent. ». Il a 25 ans. Il en avait 12 lors de la première guerre du Golfe.
L’atmosphère est pesante, effroyablement pesante. L’odeur de pétrole brûlé pollue l’air au point qu’il devienne à peine respirable. Nous vivons dans la fumée et pour le regard comme pour le cœur, aujourd’hui, il n’y a plus d’horizon où les rêves pourraient renaître.
--- English
A blurred vision
When we come down for breakfast this morning of October 10, the street is busy. Some vehicles appear at the "check point". After a customary internal and external search, the cars rush in the lane which takes them to the "Palestine". Later, when the traffic seems to decrease, an Iraqi child offers to an American soldier to shine his shoes. The GI accepts. The scene is particularly funny. The child receives one dollar. Thereafter, a little girl of barely five years old comes towards me. « Hi! One dollar? ». « Hi! One dollar? ». I ask for her name. « Hi! One dollar? » she repeats. She can only say that. She has large eyes, black and empty. Her mother calls her back and she disappears as quickly as she had appeared. A ghost.
This evening, I come in the hall of the hotel to discuss with the receptionist about the last events as well as his feelings regarding the living conditions of Iraqi since the last war. Calmly, he tells me that he lives in a continuous insecurity. For many Iraqi citizens, the Americans are not able any more to ensure the safety of the people, of these people of modest means who ask for only one thing: The peace and some work to feed their family. They also feel that the GI's are afraid of the attacks, of these bullets which can come from anywhere and reach anybody. Each day, civilians are the victims of fatal aggressions as much as the American soldiers! Who talks about it?
Finally, Iraqis know very well that the army of the United States didn't come for them. In the end, the receptionist admitted: "I have no hope any more concerning the future of Iraq and his people. One needs a miracle of God, presently ". He's 25 years old. He was 12 at the beginning of the first Gulf War.
The atmosphere is heavy, terribly heavy. The smell of burning oil pollutes the air so much that it becomes hardly breathable. We live in smoke and for the eye as for the heart, today, there is no more horizon where the dreams could spring up again.


Par Thierry Robin - 02:14:15 -- Un commentaire ?


_ ven. 10 octobre 2003 ___________________

:: « Quelque chose d’irréel »

Lorsque nous sommes arrivés hier dans les rues de Bagdad bondées de voitures, j'ai pu apercevoir, par-ci par-là, des femmes qui se promenaient. Plus loin, en passant dans une grande avenue divisée par un terre-plein central, nous avons remarqué une femme habillée un peu "à l’occidental", cheveux défaits, et qui traversait les voies accompagnées d’un homme. Notre chauffeur nous dit alors que deux ou trois mois plus tôt, dans les mêmes conditions, cette femme aurait été tuée sur le champ ! Par qui ? Pourquoi ? « La terreur », me répond Dalila !
Plus tard dans la soirée, alors que nous nous installons dans nos chambres, une musique de fanfare s’élève jusqu’à nos fenêtres. Je sors sur la terrasse pour apercevoir du septième étage la célébration d’un mariage. Tambours, trompettes et chants créèrent soudain une atmosphère irréelle tant les différentes scènes se déroulant à quelques mètres l’une de l’autre s’opposaient. Dans la même rue se côtoyaient fête, joie et occupation militaire. Etait-ce par contestation ? Un pied de nez à la restriction imposée par mesure de sécurité contre toute circulation dans le périmètre de l’hôtel Palestine ? Nous ne le saurons probablement pas. Toujours est-il que la fête se poursuivit jusque tard dans la soirée.
Entre 19h et 21 h, des coups de feu retentirent au bout de la rue. Jeunes et policiers irakiens, accompagnés de quelques américains, se rendirent rapidement sur les lieux. Des échanges de tirs commencèrent à percer le bruit de fond permanent qui s’échappe de la ville. Au même moment, quelqu’un monta le son de la sono qui animait le mariage. Nous avons appris un peu plus tard de la bouche d’un Irakien que cela était fait exprès pour ne pas effrayer les habitants du quartier. Il est 11h30, je m’endors alors que la musique bat son plein.
Ce matin, Evelyne nous apprend que dans la nuit, vers une heure trente, elle a entendu des rafales de mitraillettes à proximité. Quelques minutes plus tard, l’ami de Dalila qui est venu nous rendre visite dans notre chambre d’hôtel nous annonce que cette bataille nocturne aurait fait quatre morts : deux Chiites et deux soldats américains. Deux autres soldats US auraient été blessés. Il nous conseille également de ne pas sortir aujourd’hui car, le vendredi étant jour de repos et de prière pour le peuple irakien, il se pourrait que des manifestations et, sans doute, quelques actes de violence aient lieu. L’air est toujours peu respirable et nous irrite la gorge. Des hélicoptères passent de temps à autre au-dessus de la ville. De notre côté, nous attendons d’un instant à l’autre des nouvelles de notre nouveau chauffeur, ce qui déclenchera le début d’une autre phase de notre mission : nous rendre à l’entrepôt où est rassemblé tout le matériel.
Thierry
Aéroport d’Amman, le 8 octobre 2003. Nuit. Chaleur. Fumées blanches sortant de certains pots d’échappement. Petits sapins et cyprès gris au bord de la route à grande vitesse. La lune est presque pleine, mais sa lumière est concurrencée par les néons des panneaux publicitaires géants qui longent et surplombent la route.
Bagdad Street, le 9 octobre 2003. Je pense à Driss, mes parents, mes frères et soeurs. Trous dans la route. Ce soir, leur annoncer notre arrivée à Bagdad, inchaa’Allah. 8h50. J’émerge d’un sommeil sans repos. L’odeur d’essence est toujours aussi forte ; la route monte, descend, secoue ; la jeep s’envole, atterrit à nouveau. Multitude de camions.
Route du désert, quelques heures plus tard. Des touffes d’herbe acérée, vert tendre, déchirent la platitude beige. Les droits humains ? Qu’est-ce que cela signifie ? Dans le véhicule, une musique d’amour, mélancolique, nous berce. Je décode le paysage. Le moindre cratère dans le sable caillouteux m’inspire des scènes de guerre. C’est la première fois, mis à part l’ex-DDR, que j’entre en territoire marqué par la violence militaire. Alors je surinterprète. Je sensationalise. Nous cherchons "l’américain". Des hélicoptères, un campement, trois convois militaires nous prouvent qu’ "ils" sont bien là. Tourisme du frisson ?
15h45 ce 9 octobre 2003. Nous sommes à Bagdad. D’anciens et imposants bâtiments officiels sont massivement détruits. Nous roulons trop vite pour VOIR et nous imprégner des lieux, mais c’est déjà impressionnant de voir les zones sinistrées, les pans de bâtiments pendre dans le vide, un check-point surveillé par deux soldats armés.
Myriam
--- English
« Something unreal »
When we arrived yesterday in the streets of Baghdad packed with cars, I could see, here and there, women who were walking. Later, while passing in a large avenue divied by a median strip, we noticed a woman dressed "like a Westerner", her hair falling, and who was crossing the road accompanied by a man. Our driver told us that two or three months earlier, in the same conditions, this woman would have been killed at once! By whom? Why? « Terror », answers Dalila! »
Later in the evening, while we settle in our rooms, we hear the sound of a fanfare. I go out on the terrace to see from the seventh floor a wedding celebration. Drums, trumpets and songs suddenly created an unreal atmosphere by the contrast of two scenes separated by only few meters: In the same street, we can see the joy of a festive crowd and a military occupation. Was it a kind of protest? A way to answer back to the restriction of circulation (imposed by safety measures) around the Palestine hotel? We will probably not know it. The fact remains that the wedding continued late into the night.
Between 7:00 and 9:00 PM, several shots resounded at the end of the street. Young people and Iraqi police officers, accompanied by some American, went quickly on the scene. Exchanges of shootings started to pierce the constant noise which comes from the city. At the same time, somebody turned up the sound system which animated the wedding. We later learned from an Iraqi that it was done on purpose in order to avoid the fear among the inhabitants of the area. It's 11:30 PM and I fall asleep while the feast is going full swing.
This morning, Evelyne tells us that in the night, around 1:30 AM, she heard bursts of machine-guns nearby. A few minutes later, the friend of Dalila announces that the battle of the night would have killed four persons: Two Shiites and two American soldiers. Two others would have been wounded. He also advises us not to leave our hotel today because Friday being a day of rest and prayer for the Iraqi people, some demonstrations and maybe some acts of violence could occur. The air is always not very breathable and irritates our throat. From time to time, helicopters turn above the city. We expect our new driver any moment now. It will be the beginning of another phase of our mission: To go to the warehouse where all the material is gathered.
Thierry
Amman Airport on October 8, 2003. Darkness. Heat. White smokes going out from some mufflers. Small firs and gray cypress at the edge of the road... High speed. The moon is nearly full, but its light competed with neons of the giant billboards which skirt and overhang the road.
Baghdad Street, October 9, 2003. I think of Driss, my parents, my brothers and sisters. Pot-holes in the road. This evening, to announce them our arrival in Baghdad... Inchaa' Allah. 8:50 AM. I emerge from a sleep without rest. The gasoline smell is always strong; the road goes up, goes down, shakes; the jeep flies away, lands again. Multitude of trucks.
Road of the desert, a few hours later. Sharp-edged grass tufts, tender green, pierce the beige dullness. Human rights? What does that mean? In the vehicle, a music of romance, nostalgic, rocks us. I decode the landscape. The slightest crater in the pebbly sand inspires me some war scenes. It's the first time (ex-GDR excepted) that I enter in a territory marked by military violence. Then I overinterpret. I "sensationalize". We look after "the American". Helicopters, a camp, three military convoys give proof to us that "they" are really there. Shiver tourism?
3:45 PM this 9 October 2003. We are in Baghdad. Some old and imposing official buildings are heavily destroyed. We run too fast to SEE and to become impregnated by the scenes, but it's already spectacular to see the disaster areas, the walls of buildings hanging off, a check-point guarded by two armed soldiers.
Myriam


Par Thierry Robin - 19:51:17 -- Un commentaire ?




:: Amman - Bagdad

Vers 6h du matin, heure locale, ce jeudi 9 octobre 2003, nous accueillons notre chauffeur dans le hall de l’hôtel à Amman. Il échange quelques mots avec notre ami irakien. Après les présentations, Dalila lui demande l’état du trajet. Il nous répond que ces derniers temps, il a plus travaillé pour les « brigands » de la route que pour nourrir sa famille. Il rajoute aussitôt que, depuis peu, la police irakienne tente de sécuriser la portion qui va de la frontière jordanienne à Bagdad. Nous prenons la route néanmoins confiants.
Sortis de l’agglomération d’Amman, nous nous retrouvons immédiatement dans le désert. Les maisons ressemblent à des "legos" éparpillés. Myriam dort sur une banquette du Chevrolet 4x4 qui équipe tous les chauffeurs faisant la navette d’une capitale à l’autre. Evelyne, à mes côtés, vit dans la hâte du voyage, exaltée. Dalila est à côté du conducteur et parle avec lui. A l'arrière d'un camion, on peut lire : « Je ne pleure pas pour ce monde que je laisse mais je pleure pour tous ceux que j’y laisse ».
A 11h30 nous entrons en Irak. Les formalités douanières se passent sans encombre. De nombreux camions sont garés sur un parking, chargés de voitures. Il existe en Irak un véritable trafic de véhicules venant du monde entier. Une grande majorité de voitures roulent sans plaque d’immatriculation. Sur l’autoroute que nous parcourons à 160 km/heure, les fossés sont jonchés de lambeaux de pneus éclatés. Tous les 20 km, des tables de pique-nique… Intactes. Le désert irakien est omniprésent, parsemé de temps à autre de quelques habitations isolées. Nous faisons halte au kilomètre 160. Nous apercevons quelques commerces. Un bar est ouvert, nous allons y boire une tasse de thé. A peine terminée, nous repartons sur l’impulsion de notre chauffeur, excellent conducteur au demeurant : nous avons un horaire à respecter.
Vers 14h45, nous sommes arrêtés par la police irakienne en faction sur l’autoroute. Le chauffeur dit que nous sommes de la Croix Rouge et tous français. Quelques sourires et rires un peu retenus et les policiers nous font signe de repartir. A 14h55, nous passons au large de Ramadi : nous voyons des hélicoptères américains qui patrouillent dans le ciel. Des colonnes de fumées noires et blanches s’élèvent au-dessus de la ville. Il faut accélérer. C’est ce que nous faisons à plus de 175 voire 180 km/heure.
A l’approche de Bagdad, nous doublons un convoi militaire américain. Plus loin, un autre célébrant un mariage irakien. Nous entrons dans Bagdad. Les rues fourmillent de monde. Des klaxons retentissent un peu partout. Nous apercevons des bâtiments détruits par la guerre. Notre chauffeur nous raconte l’histoire des premiers bombardements…
Nous arrivons à proximité de notre hôtel. Toutes les rues sont bloquées. Des jeunes de 20-25 ans font la police, kalachnikov à la main. Ils ne veulent pas nous laisser passer. Dalila insiste. Ils appellent un soldat américain qui s’approche de nous. Ils donnent un ordre au jeune Irakien et s’en retourne à son poste 30 mètres plus loin. Nous ouvrons nos sacs, le jeune Irakien les fouille succinctement puis déplace les fils barbelés pour nous laisser passer. Des rumeurs circulent évoquant de prochaines cibles pour de nouveaux attentats. Nous nous installons dans notre hôtel qui dispose d’une connexion Internet. C’est inespéré. Des hélicoptères américains ne cessent de tourner au-dessus de nous. Je reste confiant. Notre travail commence demain et Dalila s'efforce de joindre au téléphone notre nouveau chauffeur qui nous conduira dans les rues de Bagdad, de rendez-vous en rendez-vous.
--- English
At 6:00 AM, local time, this Thursday October 9th, 2003, we meet our driver in the hall of the hotel in Amman. He shares some words with our Iraqi friend. After the introductions, Dalila asks him the condition of the trip. He answers that these days, he worked more for the "bandits" of the road than for feeding his family. He adds also that, recently, the Iraqi police forces try to increase the security of the stretch of road which links the Jordanian border to Baghdad. We take the road nevertheless trustful.
Leaving the agglomeration of Amman, we immediately meet the desert. The houses look like scattered "legos". Myriam sleeps on a bench of the Chevy 4x4 which is the car that have all the drivers making the shuttle from one capital to another. Evelyne, beside me, is in a hurry to arrive and feels excited. Dalila speaks with the driver. At the back of a truck, one can read: "I do not cry for this world that I leave but I cry for all those which I leave there".
At 11:30 AM we enter into Iraq. The customs formalities occur without incident. Many trucks transporting vehicles are parked. In Iraq, there is a traffic of vehicles coming from the whole world. The great majority of cars runs without number plate. On the motorway that we run at 100 mph, there are many strips of tires. Every 12 miles, there are picnic tables... Intact. The Iraqi desert surrounds us, with sometimes isolated houses. We make stop after 100 miles. We see some shops. A bar is open, we enter to drink a cup of tea. We just finish it and we start, boosted by our driver (an excellent driver BTW): We have a schedule to respect.
At 2:45 PM, we are stopped by the Iraqi police watching on the motorway. The driver says that we are members of the Red Cross and all French people. Some smiles and laughs, then the police officers tell us that we can go. At 2:55 PM, we pass off Ramadi: American helicopters patrol in the sky. Columns of black and white smokes rise above the city. We have to go faster. That's what we do running at more than 110 mph.
When we approach Baghdad, we pass an American military convoy. Further, another one celebrating an Iraqi wedding. We enter Baghdad. The streets are swarming with people. Horns are heard everywhere. We see buildings destroyed by the war. Our driver tells us the history of the first bombings...
We arrive near our hotel. All the streets are blocked. Young people who are around 20 years old are keeping order, kalachnikov in their hands. They don't want to let us pass. Dalila insists. They call an American soldier who approaches us. He gives an order to the young Iraqi, then returns to his post 30 meters away. We open our bags: The young Iraqi looks at them briefly and moves the barbed wire fence to let us through. Rumors are circulating about next targets and new attacks. We settle in our hotel which has an Internet connection: We are lucky! American helicopters are constantly turning above us. I remain confident. Our work begins tomorrow: Dalila tries to contact our new driver who will lead us in the streets of Baghdad, from appointment to appointment.


Par Thierry Robin - 01:05:01 -- Un commentaire ?


_ jeu. 09 octobre 2003 ___________________

:: 1h14 à Amman, Jordanie

A 15h, l'Airbus A320 de la Royale Jordanian décolle de Genève. Durant le vol, nous nous assoupissons, nous échangeons nos impressions sur le voyage, sur les images qui défilent à travers le hublot. "Please" nous lance gentiment l'hôtesse de l'air en nous tendant une sorte de compresse au bout d'une pince. Je la saisis en la remerciant. A peine dans mes mains, je manque de la faire tomber : elle est bouillante.
Un homme est assis à côté de Dalila. Il a un gros pansement sur la joue droite et le visage un peu accidenté. Il demande à Dalila : "Mais où allez-vous ?" Dalila répond : "A Bagdad." "Mais vous êtes fous, rétorque-t-il, je viens de passer un mois en Allemagne dans un hôpital d'une base militaire américaine pour me faire soigner mes blessures. J'étais employé dans les bâtiments de l'ONU à Bagdad lorsqu'ils l'ont fait exploser..." A l'atterrissage à Aman, lorsqu'il quitte l'avion, nous remarquons qu'une bande lui entoure le crâne, cachée sous sa casquette.
Nous présentons nos passeports au secteur immigration de l'Aéroport International d'Amman. Nous récupérons tous nos bagages et retrouvons les amis de Dalila à la sortie. Il y a deux hommes et deux femmes qui ne semblent pas se connaître. Les deux femmes sont jordaniennes. Parmi les hommes, l'un est jordanien, l'autre est irakien. Dalila semble à l'aise. Je le suis aussi car même si je ne parle pas arabe, je peux échanger quelques mots en anglais avec l'ami jordanien. L'ami irakien, lui, parle avec Dalila tout le temps.
Nous partons en voiture vers l'hôtel. Moi je suis avec les hommes. Dalila et Evelyne restent avec les femmes. Elles conduisent. Nous nous retrouvons tous à l'hôtel Maraya. Il est 20 h et il fait nuit. Je m'assois avec les hommes pendant que les femmes s'assoient ensemble. Un peu plus tard, je m'enquiers auprès de Dalila pour savoir comment elle va. Elle est à l'aise dans sa mission. Evelyne jubile. Myriam est heureuse d'être là et moi je sens toute cette culture me traverser le corps et l'esprit lentement. Demain, à 6h du matin, nous partirons pour Bagdad. Un seul chauffeur, un voyage direct durant douze heures. "Inch'Allah".
--- English
At 3:00 PM the A320 Airbus of the Royal Jordanian takes off from Geneva. During the flight, we doze off, we exchange our feelings about the trip and the images which pass by through the porthole. "Please", says the stewardess nicely while offering us a kind of compress at the end of a tongs. I take it and while thanking her, I nearly let it fall: It's extremely hot.
A man is sitting next to Dalila. He's got a large bandage on the right cheek and his face is slightly injured. He asks Dalila: " Where are you going?" Dalila answers: "To Baghdad." "You are completely mad, he retorts, I have just spent one month in Germany in the hospital of an American military base to have doctors look after my wounds. I was employed in the buildings of the UN in Baghdad when they exploded. At the time of the landing in Amman, when he leaves the plane, we notice that a bandage surrounds his head, hidden under his cap.
We present our passports at the immigration sector of the International Airport of Amman. We pick up all our luggage and meet the friends of Dalila at the exit. There are two men and two women who do not seem to know each other. The two women are Jordanian. Among the men, one is Jordanian, the other is Iraqi. Dalila seems at ease and I feel at ease too because even if I don't speak Arabic, I can share some words in English with the Jordanian friend. The Iraqi friend speaks all the time with Dalila.
We leave by car towards the hotel. I am with the men. Dalila and Evelyne remain with the women who drive the car. We join at the Maraya hotel. It's 8:00 PM and it's dark. I sit with the men while the women sit together. Later, I ask Dalila how she feels. She's at ease in her mission. Evelyne is delighted. Myriam is happy to be there and In feel that this culture is making its way in my body and my mind. Tomorrow, at 6:00 AM, we will leave for Baghdad. Only one driver, a direct trip during twelve hours. "Inch'Allah".


Par Thierry Robin - 02:26:04 -- Un commentaire ?


_ mar. 07 octobre 2003 ___________________

:: Où sont les filles et les femmes irakiennes ?

Partout et nulle part à la fois. Dispersées, déchirées... Un rapport de 17 pages, établi par Human Rights Watch en juillet 2003, révèle l'ampleur du drame que vivent quotidiennement les femmes irakiennes. Alors qu'on leur promet depuis la fin de la guerre un rôle important dans la reconstruction du pays, leurs droits fondamentaux sont bafoués, anéantis chaque jour qui passe. Enlèvements, viols et meurtres sont les formes spécifiques de violence qu'elles subissent dans une indifférence quasi totale. Mené sur la base de nombreux témoignages, le rapport de HRW donne une vision apocalyptique du sort qui est réservé aux femmes dans la société irakienne d'après guerre. Les policiers et les militaires de l'armée US ont d'autres priorités et, bien que des plaintes concernant des actes de violence ainsi que des disparitions leur soient rapportées tous les jours, la grande majorité d'entre elles restent ignorées, classées ou tout simplement perdues. Aucune investigation digne de ce nom n'est engagée par quelqu'autorité que ce soit. Les femmes, particulièrement, vivent dans une insécurité permanente et craignent pour leur intégrité physique autant que psychique. C'est un fait !
Le 27 septembre dernier, Aqila Al-Hashimi était enterrée à Najaf. Cette femme politique faisant partie du gouvernement provisoire Irakien installé par les Américains au lendemain de la fin officielle du conflit, représentait l'espoir dans la construction du nouvel Irak pour une majorité de femmes. Un attentat meurtrier perpétré contre elle en a décidé autrement ! Où se trouve l'espoir aujourd'hui ?
Au milieu des informations qui font la part belle aux morts militaires américains, il y a aussi la mort de nombreux civils irakiens, estimés entre 7500 et 10 000. Le dispensaire Al Hourryya accueille 500 à 600 patients par jour. Combien sont des femmes ? Combien de temps faudra-t-il encore à tous ces esprits belliqueux pour réaliser que la reconstruction de l'Irak se fera d'abord grâce à l'engagement et à la place qu'auront les femmes à tous les niveaux de la sphère politique, économique et sociale ? De toute évidence, le rôle d'acteur de paix n'incombe pas aux "grands" hommes, piètres dirigeants de ce monde. Laissons s'exprimer et s'accomplir la volonté des femmes. L'avenir de l'humanité, pour ceux qui l'auront compris, en dépend. Celui de l'Irak en premier !
--- English
Everywhere and nowhere at the same time. Scattered. The 17-page report, carried out by Human Rights Watch in July 2003, reveals the extent of the tragedy daily lived by the Iraqi women. Their basic rights are completely scorned whereas one promises them since the end of the war an important role in the rebuilding of the country. Abductions, rapes and murders are the specific forms of violence they suffer in a near complete indifference. On the basis of numerous testimonies, the study by HRW gives an apocalyptic vision of the fate which is reserved to the women in the postwar society of Iraq. The police officers and the soldiers of the US army have other priorities and, although complaints of acts of violence and disappearances are reported to them every day, the great majority remains ignored, closed or simply lost. No real investigations are conducted by any authorities. The women live particularly in a permanent insecurity and fear for their physical and psychological integrity. Unfortunately, it's a fact!
Last 27th of September, Aqila Al-Hashimi was buried in Najaf. This female politician, who was part of the Iraqi temporary government installed by the Americans at the following day of the official end of the conflict, represented a hope in the construction of a new Iraq for a majority of women. A murderous attack perpetrated against her made the things different! Where is the hope today?
The priority is given to the death of American soldiers by the media, but we can't forget that many Iraqi civilians (between 7 500 and 10 000) lost their life also. The Al Hourryya dispensary accomodates 500 to 600 patients per day. How much are women? How much time will still be necessary for all these hawkish minds to understand that the rebuilding of Iraq will be done thanks to the involvement of the women and their part at all levels of the political, economical and social sphere? It seems obvious that the responsability of achieving peace is not incumbent on the "important" men, poor leaders of this world... Let's express and achieve the will of the women. The future of humanity depends on it. And first the future of Iraq!


Par Thierry Robin - 19:16:43 -- Un commentaire ?


_ lun. 06 octobre 2003 ___________________

:: J - 3

Voici l'occasion qui s'offre à moi de vous présenter deux des trois membres féminins de l'association ABIR qui partent en mission pour Bagdad, ce mercredi 8 octobre. Je m'efface alors, tout simplement, devant "les petits mots" de Dalila et d'Evelyne...
"...Les petits soucis du quotidien occupent une grande partie de ma vie et ne me laissent guère le temps de penser à autre chose. A la place d’un tourbillon qui m’absorbe vers les abîmes de l’indifférence, j’essaie d’en faire une spirale qui me propulse vers l’autre. Cet autre que je ne connais pas et qui ne me connaît pas non plus. Donc pas de reconnaissance. Quelques personnes serviront de lien entre nous. Je ne lui infligerai pas l’humiliation de dire merci. Un geste simple, comme je le ferais pour ma famille, pour mes proches. Ce n’est pas un devoir non plus. C’est comme lorsque j’entre sur la pointe des pieds dans la chambre de mon enfant endormi, je remonte doucement la couverture sur ses épaules et d’un baiser, j’effleure tendrement son front pour lui souhaiter une douce nuit..."
Dalila

"La porte est ouverte, nous y allons ! Nous avancerons à la rencontre de Bagdad, avec tout ce que cela signifie de souffrances, d’interrogations, d’incompréhension, d’appréhension aussi, mais surtout de gratitude devant la possibilité offerte de rencontrer ce peuple irakien, agressé dans sa chair. Comme le Petit Prince, j’ai envie de dire : « Ce qui embellit le désert, c’est qu’il cache un puits quelque part » Le temps de la réflexion est bien présent ! Je sais que j’apprendrai à découvrir la signification profonde de la supplique du renard : « s’il te plaît, apprivoise-moi ! » « C’est une chose trop oubliée ...ça signifie créer des liens » QUI représente le renard ?
Avec foi, j’avance sur ce nouveau chemin de vie ; qu’il puisse m’intégrer à cette terre de la Mésopotamie arrosée par le Tigre et l’Euphrate (infiniment plus qu’un souvenir de l’école du dimanche !). Ce désert où Abraham a non seulement entendu mais obéi à la voix de Dieu qui lui demandait d’avancer, de progresser dans le pays qu’il lui montrerait. Abraham a obéi sans poser de questions, et encore moins de conditions. Aujourd’hui, les conditions pleuvent de tous les côtés.
Quelle force, quelle joie, quelle reconnaissance de rencontrer ces visages d’enfants que j’espère voir un jour soulagés de leurs souffrances. Notre voyage ne sera qu’une goutte d’eau dans l’océan ; non, je voulais dire : qu’un grain de sable dans le désert ! Mais qui sait ? Peut-être qu’il y aura d’autres gouttes d’eau ou d’autres grains de sable."
Evelyne
--- English
The opportunity is offered to me to present you two of the three female members of the ABIR association who leave on mission to Baghdad on this wednesday 8th of October. So, I simply keep myself in the background today, giving the place to the words of Dalila and Evelyne...
"...The small concerns of everyday take a great part of my life and leave me not much time to think to other things. Instead of a swirl which could absorb me in the abysses of the indifference, I try to make a spiral of it which propels me toward the Other. This Other that I do not know and which does not know me either. Therefore, no gratitude. Some people will serve as bond between us. I will not inflict on him the humiliation of having to say "thank you". A simple act, as I would do for my family, for my friends. It's not a duty either. It's like when I enter the room of my sleeping child on tiptoe: I carefully pull the blanket over his shoulders and I tenderly kiss his face to wish him a peaceful night..."
Dalila

"The door is open, here we go! We will move "toward Baghdad", with all that that implies in terms of sufferings, questionings, incomprehension and also anxiety, but above all the gratitude towards the possibility to meet the Iraqi people, who suffer in his flesh. Like the Small Prince, I want to say: « What embellishes the desert, it is that it hides a well somewhere... » The time to think is now! I know that I will learn to discover the major significance of the fox' plea: « Please, tames me! » « It is a too forgotten thing... It means to create bonds » WHO is represented by the fox?
With faith, I walk along this new way of life ; let's it incorporate me into this ground of Mesopotamia watered by the Tigris and the Euphrates (it's much more than a memory of the school of Sunday!)! This desert where Abraham not only heard but obeyed the voice of God who asked him to advance toward the country that He would show him. Abraham obeyed without raising questions and without conditions. Today, the conditions are falling from all sides.
What a strength, what a joy, what a gratitude to meet these faces of children, that I wish to be one day relieved of their sufferings. Our trip will only be a drop in the ocean ; I mean a grain of sand in the desert! But who knows? Maybe there will be other water drops or other sand grains."
Evelyne


Par Thierry Robin - 21:17:39 -- Un commentaire ?


_ dim. 05 octobre 2003 ___________________

:: J - 4

Je viens de lire plusieurs rapports émanant de sources différentes sur l'évolution des droits des femmes en Irak, depuis les années 70 jusqu'à aujourd'hui. Comme tout ce qui entoure l'Irak depuis cette époque, le tableau est complexe à souhait mais obéit quand même à un schéma d'évolution intéressant. Il semblerait que durant les années 70 et les prémices des années 80, sous le règne florissant de Saddam Hussein, les femmes irakiennes vivaient dans une sorte d'oasis de droits et de liberté. Tous les analystes et les observateurs s'accordent à reconnaître que dans le contexte géopolitique de la région, l'Irak faisait office, sur la question de la promotion des droits des femmes, de précurseur miraculeux.
La constitution déclarait les hommes et les femmes égaux devant la loi. Certaines d'entre elles marchaient dans les rues en minijupe ou en robe, allaient danser dans les boites de nuit sans être plus inquiétées que d'autres femmes vivant ces mêmes libertés en occident. La sphère éducative puis professionnelle comptaient un nombre important de femmes et elles avaient acquis le droit de vote autant que celui d'être éligible.
Puis, pour des raisons dont nous ignorons toujours les détails mais dont nous pouvons dire qu'elles sont issues d'un plan politico-économico-stratégique malsain, tout bascule. La guerre Iran/Irak propulse alors les femmes irakiennes sur la première scène économique du pays afin qu'elles assument les responsabilités que les hommes, partis au combat, ont laissé vacantes. A la fin de ce conflit extrêmement meurtrier, le pays est ruiné et le pouvoir du Raïs considérablement affaibli. Les mesures dictatoriales et répressives qui vont suivre, commanditées par le régime de Saddam Hussein, anéantiront tous les acquis précieux relatifs aux droits des femmes et aux droits humains en général.
La "guerre du Golfe", en 1990, puis l'embargo qui a duré 12 ans et enfin la dernière bataille auront fini d'enterrer un pays moribond, laissé à la charge d'un peuple fatigué, humilié et dispersé... Aujourd'hui, les femmes composent plus de 60% de la population irakienne. Une question se pose alors : " Où sont-elles ? " Je pars en Irak pour tenter d'y répondre.
--- English
I have just read several reports from different sources on the evolution of women's rights in Iraq since 1970. Like all that concern Iraq for this time, the record is rather complex but follows a scheme of evolution all the same interesting. It seems that during the Seventies and the beginning of the Eighties, under the flourishing reign of Saddam Hussein Iraqi women lived in a kind of haven of rights and freedom. All the analysts and observers agree to recognize that in the geopolitical context of the area, Iraq acted, on the question of the promotion of women's rights, as a surprising precursor.
The Constitution declared the men and the women equal in front of the law. Some women went in the streets in miniskirt or dress, danced in nightclubs without being worried, like any other women living these same freedoms in the West. They were numerous in the educational and professional sphere. They had acquired the right to vote and also the right to be eligible.
Then, for some obscure reasons (which certainly result from a bad politic-economic-strategic plan) the situation was turned upside down. The war against Iran propelled the Iraqi women on the economic scene of the country, to assume the responsibilities that the men left vacant. With the end of this extremely deadly conflict, the country is ruined and the power of the "Raïs" considerably weakened. Repressive measures which will follow, decided by Saddam Hussein's régime, will destroy all the invaluable assets regarding women's rights and human rights in general.
The Gulf War in 1990, then the embargo which lasted 12 years and finally the last battle finished burying a dying country, abandoned to a tired, humiliated and dipersed people. Today, the women represent more than 60% of the Iraqi population. A question arises then: "Where are they?" I go to Iraq to try to answer it.


Par Thierry Robin - 16:32:10 -- Un commentaire ?


_ sam. 04 octobre 2003 ___________________

:: J - 5

Le matériel à destination du dispensaire, de l'orphelinat et de l'association féminine à Bagdad est parti mercredi dernier 1er octobre depuis Genève pour la capitale irakienne. Le convoi comporte 67 colis pour un poids total de 736 Kg d'habits, de matériel médical, de médicaments et d'affaires diverses. Pour vous donner trois exemples, il y a 437 pyjamas bébés de 0 à 12 mois, 5 paires de béquilles et 48,5 kg de médicaments. Cela représente 8 cartons sur les 67 ! Ce matériel nous attendra quelque part à Bagdad. Dès lors, nous pourrons l'acheminer vers les trois destinataires finaux prévus, le tout avec précaution…
C'est alors que les regards vont se croiser, dans l'urgence et l'action de cette mission. Ces femmes ont tant à dire, à exprimer, à révéler. Des paroles vont jaillir, des phrases jetées en l'air comme un cri, des mots comme des questions sans réponses, des lueurs, des éclairs d'espoir. J'y suis déjà !
--- English
The material bound for the dispensary, the orphanage and the female association in Baghdad left last Wednesday 1st october from Geneva to the iraqi capital. The convoy comprises 67 parcels for a total weight of 736 kg in clothes, medical material, drugs and different things. To give you an example, there are 437 pyjamas for babies (from 0 to 12 months), 5 pairs of crutches and 48,5 kg of drugs: And it represents only 8 cartons out of the 67! This material will await us somewhere in Baghdad. Then, we will be able to forward it to the final recipients, with care...
At this time, eyes will meet in the urgency of this mission. These women have so much to say, to express, to reveal. Words will spout out, thrown in the air like a cry, like questions without answers... Gleams, flashes of hope. I am already there!


Par Thierry Robin - 17:06:49 -- Un commentaire ?


_ ven. 03 octobre 2003 ___________________

:: J - 6

Les préparatifs de notre voyage en Irak arrivent à leur phase d'inventaire : "ai-je bien pensé à ceci, n'ai-je pas oublié cela ?". Billets de train, billets d'avion, passeport, visa (Jordanien uniquement car il n'est plus besoin d'avoir un visa irakien pour se rendre dans ce pays, exsangue !), argent, tout est vérifié, revérifié plusieurs fois. Entre le sac de médicaments et de soins multiples (bombe anti-moustiques, purificateur d'eau, antidiarrhéique, compresses, collyre, etc.), le matériel de reportage et accessoires en - trop - grand nombre, les affaires personnelles, j'ai besoin d'organiser mes idées et mon emploi du temps !
Sans parler de la mise en place de ce weblogue, des moyens à la fois techniques et humains à mettre en œuvre pour relayer cette information qui viendra du cœur de la capitale irakienne ! En outre, MediaTic "Actualités du blog et des blogs" me fait l'honneur de m'accueillir sur son site comme "blogueur" invité durant mon séjour à Bagdad…

La préparation est aussi psychologique. A en lire les médias traditionnels, il n'est question que d'infos négatives concernant l'Irak : de nouveaux soldats américains tués (84 à ce jour depuis mai !!!), échauffourées entre Irakiens mécontents et police irako-américaine, ça explose par-ci, ça se bat par-là. Parallèlement, des connaissances venant de milieux différents, journalistes, amis irakiens, apportent quelques nouvelles plus positives. Certains commerces et restaurants semblent braver la terreur et rouvrir leur portes, timidement…

De son côté, Ricardo Sanchez, le chef des forces américaines, met en garde les voyageurs qui voudraient se rendre en Irak sur le caractère extrêmement périlleux et dangereux de circuler sur les routes, et ce, quelle que soit l'heure de la journée. Il avertit que les attaques meurtrières contre les forces américaines et les étrangers allaient se multiplier… soit !

Hier, j'ai eu un rendez-vous radio en direct, dans ma région, les Alpes du Sud. Elle émet jusqu'à Grenoble et ses environs. En tant qu'invité de la rédaction, j'y ai parlé de la mission de l'association ABIR, de ses membres, de la condition de vie des femmes irakiennes plongées dans un tel chaos mais aussi de mon engagement personnel…

Bon, je vais vérifier le matériel photo et répondre à quelques emails…
--- English
The preparations of our trip to Iraq are in the inventory phase: "Did I think of everything, did I forget something?" Train and plane tickets, passport, visa (only for Jordan because there is no more need to have a visa to enter Iraq, this weakened country!), money... All is checked and double-checked. Among the bag of drugs and care (anti-mosquito spray, water purifier, antidiarrheic, compress and eye lotion), the material of report and too many accessories, the personal things... I need to organize my ideas and my timetable!
And I don't speak about the installation of this blog and the technical and human means that are necessary to pass the message from the heart of the Iraqi capital!
Besides, mediaTIC makes me the honour to welcome me as guest blogger on his famous weblog during my journey in Baghdad.

There is also a psychological training. When you read the traditional medias, there are only pessimistic news concerning Iraq: The killing of american soldiers (84 since May), clashes between discontented Iraqi and the police ; there are bombings and fightings here and there... Fortunately, contacts, journalists or friends from different environments bring me more positive news. Some businesses and restaurants choose to face terror and open their doors timidly...

Ricardo Sanchez, the chief of American forces, warned the travellers who would like to go to Iraq against the danger to circulate on the roads, whatever the hour of the day. According to him, attacks against the American troops and foreigners are going to increase. Well...

Yesterday, I was invited by a local radio. I spoke about the mission of the ABIR association and its members... And of course about the fate of Iraqi women plunged in chaos and my personal involvement.

So, I'm going to check my photo material again and answer some emails…


Par Thierry Robin - 15:45:19 -- Un commentaire ?


Edité le : jeu. 02 juin 2016 - All words and photos are protected by © Thierry Robin Copyright!